Avec Jonathan Capdevielle, la troupe allemande du Puppentheater de Halle et deux marionnettistes indépendants, Gisèle Vienne et Dennis Cooper font leur miel des rapports entre le ventriloque et son pantin.
Fidèles à leurs mauvaises habitudes, ce sont toujours les stars qui se font attendre… En l’occurrence, Nils Dreschke, qui débarque en costume et cravate, arrive tel un businessman de l’aéroport en tirant derrière lui la luxueuse valise métallique à roulettes qui ne le quitte jamais. Celle où sa très précieuse marionnette est confortablement rangée.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Cette convention de ventriloques ne pouvait commencer sans lui. Le wonder boy de Las Vegas joue immédiatement les chauffeurs de salle en rappelant l’air de rien qu’il vient de gagner “le truc”, qu’il a été couronné de l’American’s Greatest Talent, un prix qu’il partage avec Lutz, son pantin inspiré par celui d’Anthony Hopkins dans le film Magic (1978) de Richard Attenborough.
Convention internationale de ventriloquie
Avec un démarrage sur les chapeaux de roue et ce clin d’œil fantasmant la réussite à l’américaine d’un ventriloque, Gisèle Vienne et l’auteur américain Dennis Cooper s’amusent à confronter l’imaginaire de la fiction aux protocoles d’un théâtre documentaire qui témoigne pour son dernier spectacle, The Ventriloquists Convention, d’un événement bien réel, en se référant à la plus grande convention internationale de ventriloquie au monde se déroulant chaque année aux Etats-Unis, dans un hôtel proche de l’aéroport de Cincinnati.
“Je m’y suis rendue en 2014, précise Gisèle Vienne, c’est un endroit incroyable où, de la salle de spectacles au bar, en passant par la cabine de l’ascenseur, on n’arrête pas de croiser des personnes qui testent sur vous leur pratique et l’efficacité des gags de leur marionnette.”
Ainsi, il lui suffit de réunir sur le plateau une trentaine de chaises de conférences et l’indispensable desserte avec des gobelets et une machine à café pour que le cadre en plan fixe de la pièce soit posé. Sur le plateau, on dénombre neuf manipulateurs, cinq hommes et quatre femmes, chacun ayant au bras sa propre poupée.
L’idée du spectacle est née en 2013, d’un workshop en Allemagne avec l’ensemble du Puppentheater de la ville de Halle, l’une des dernières troupes de marionnettistes allemands à disposer d’un théâtre pour jouer son répertoire à demeure et à l’année. “J’ai eu tout de suite le coup de foudre pour les six artistes de cet ensemble auxquels se sont joints Jonathan Capdevielle, avec qui je travaille depuis seize ans, et deux marionnettistes indépendants.”
Performers venus de tous les horizons
A l’exception de Jonathan Capdevielle, qui s’était initié à l’art subtil de parler sans bouger les lèvres pour interpréter un très inquiétant serial-killer ventriloque dans Jerk, une précédente pièce de Gisèle Vienne créée en 2008, le groupe réuni a dû, quant à lui, tout apprendre de cette nouvelle technique, la ventriloquie n’étant quasiment pas enseignée.
Connu du grand public dans les années 80 pour son show de ventriloque à la télévision avec sa poupée Tatayet, c’est l’artiste belge Michel Dejeneffe qui, durant près d’une année, les a coachés.
Le principe d’une convention étant de réunir des performers venus de tous les horizons, Gisèle Vienne saisit l’occasion pour concevoir une collection de marionnettes en déclinant le vaste panorama des diverses esthétiques qui marquent la discipline tout au long du XXe siècle.
Bande de marionnettes hétéroclite
D’un hommage à l’art brut de Morton Barlett (1909-1992) à une série de touchantes dédicaces au génie de Jim Henson (1936-1990), le créateur de Sesame Street et du Muppet Show, cette bande de marionnettes hétéroclite compte dans ses rangs des modèles inspirés par le cinéma et ceux vendus aux enfants dans le commerce auxquels s’ajoutent d’autres, forcément plus borderline, de sa pure invention.
Là, s’arrête le documentaire car, proche du stand-up, le ventriloque aux Etats-Unis se cantonne à un art du divertissement où l’efficacité prime. Dans ce monde où la punchline est la règle, les numéros ne dépassent jamais dix à quinze minutes, en référence à la tradition des cabarets.
“Cette pratique s’est développée dans le music-hall depuis le XIXe siècle, enchaîne Gisèle Vienne. Mais il ne faudrait pas oublier que l’origine de la ventriloquie remonte à l’époque antique, celle où les augures en usaient pour faire parler les statues des dieux. Puis, avec la mode des expériences de la nécromancie, ses effets proches de la magie ont séduit les médiums pour donner l’illusion qu’ils réussissaient à relayer la voix des morts.”
Les ventriloques de Gisèle Vienne ont leur propre façon de parler mais disposent aussi pour leurs poupées de deux à trois niveaux de voix distincts. Une mine d’or pour elle et Dennis Cooper, qui peuvent ainsi stratifier les formes du langage en échelonnant avec précision le niveau de la blague par rapport à celui de la confession, jusqu’à ces propos qui ne peuvent jaillir que d’une parole en prise directe avec l’inconscient.
Aussi inquiétante qu’éblouissante, la descente dans les tréfonds de la personnalité dédoublée de chacun de ses artistes est alors un pur vertige.
The Ventriloquists Convention texte de Dennis Cooper, en collaboration avec les interprètes, conception, mise en scène et scénographie Gisèle Vienne, en anglais surtitré en français, les 3 et 4 septembre à La Bâtie-Festival de Genève, les 19 et 20 septembre au Festival mondial des théâtres de marionnettes à Charleville-Mézières. Dans le cadre du Festival d’Automne à Paris, du 7 au 11 octobre au Centre Pompidou, Paris IVe, du 27 novembre au 4 décembre au Théâtre Nanterre-Amandiers, tél. 01 53 45 17 17, festival-automne.com
{"type":"Banniere-Basse"}