“Des femmes qui nagent” réussit avec brio à manier tout ensemble la fascination du regard portée sur les actrices et la remise en question d’un statut longtemps imposé et désormais contesté.
Des femmes qui nagent. Rien que le titre fait rêver par son incomplétude appelant un point de chute ou une ligne de fuite : en eaux troubles ? À contre-courant ? Telles des sirènes, des naïades ? Ou bien des athlètes de la contre-offensive pour échapper au regard dominant posé sur elles : celui de la masculinité conquérante ? Un peu tout cela, sans doute, tant le projet amorcé par l’autrice Pauline Peyrade et la metteuse en scène Émilie Capliez s’est forgé au fil du temps, d’expérimentations en répétitions sur le plateau, avec un gang d’actrices qui, tous âges confondus (de la vingtaine à la soixantaine), font la peau aux clichés trimballés par le septième art sur “l’image de la femme”.
Autrement dit, une classe d’âge réduite à la portion congrue, seule la jeunesse ayant droit de cité, un physique cantonné à des standards et des rôles circonscrits à la mise en valeur des personnages masculins. Et qui, pourtant, reconnaissons-le, nous font rêver, tiennent lieu de modèles, suscitent des vocations.
Comme unique décor le hall d’un cinéma
Parler des actrices et de l’ambivalence de leur statut est au point de départ de ce projet : “On adore jouer, être mises en lumière, et en même temps, les propositions qui nous sont faites renvoient souvent des images problématiques de la femme, constate Emilie Capliez dans un entretien au théâtre Gérard Philipe. Pauline et moi voulions donc plonger dans l’envers du décor, contourner ces figures fascinantes et magnétiques pour regarder ce qu’elles racontaient plus en profondeur. Marilyn disait que ses robes étaient à la fois ses corsets et ses boucliers, une forme double de protection et d’enfermement.”
Prenant comme unique décor le hall d’un cinéma, la scénographie d’Alban Ho Van ménage assez d’ouvertures, de rideaux et d’escaliers pour se transformer à vue en décors de films et entraîner notre imaginaire au fond de la chambre noire que représente symboliquement la salle de cinéma, là où s’impriment les silhouettes et les regards, les voix et les postures, sur lesquels on se projette, se rêve et se construit.
Le regard porté sur des femmes, par des femmes, entre femmes
Écrit à la façon d’un synopsis, le texte de Pauline Peyrade fait mouche, usant du montage cinématographique pour mettre en perspective une succession de scènes et de séquences, sans autres liens entre elles que le regard porté sur des femmes, par des femmes, entre femmes, sur leur rapport à la création. À l’acmé du spectacle, le rideau se ferme pour servir de support à la projection des dizaines de noms qui, de Chantal Akerman à Natalie Wood, ont inspiré Des Femmes qui nagent. Les cinéphiles s’amusent à reconnaître les extraits de films et les comédiennes qui peuplent cet écheveau textuel où les voix surgies du néant pour venir parler de leur métier. Ainsi de Jeanne Moreau décrétant : “Il y avait en moi une grande révolte qui s’entrechoquait avec le plaisir de plaire.” Avant d’ajouter : “Il est très important que les femmes commencent à se montrer elles-mêmes.”
Au final, ce voyage au cœur du septième art et les réflexions qu’il génère, si elles sont bien dans l’air du temps, comme une grande respiration qui s’autorise après une apnée bien trop longue qui confinait à la noyade, permet aussi de s’inscrire dans une lignée, selon les mots de Geneviève Fraisse, inscrits au fronton du plateau : “Ce que j’aime dans l’idée de lignée, c’est le désir qu’elle porte de s’adosser à l’histoire avec un sentiment d’appartenance au monde.” Magnifié par les lumières somptueuses de Kelig Le Bars, et l’accord entre les quatre actrices, leur complétude magnifique enjambant les âges avec assurance, le spectacle s’achève en s’ouvrant sur le monde ordinaire, l’ouvreuse du cinéma contant par le menu son quotidien tandis qu’un groupe d’amatrices vient peupler la salle de cinéma. Atterrissage contrôlé…
Des femmes qui nagent, de Pauline Peyrade, mise en scène Émilie Capliez. Avec Odja Llorca, Catherine Morlot, Alma Palacios en alternance avec Louise Chevillotte, Léa Séry. Du 19 au 21 avril à la Comédie de Reims.