Quatorze artistes travaillant dans les ateliers de la ville de Marseille s’exposent au fil d’une proposition qui laisse éclore chaque langage dans sa spécificité.
Dans l’exposition Sur pierres brûlantes, il n’y a pas de thématique surplombante mais un mouvement, un souffle qui parcourt deux étages de la Friche la Belle de Mai à Marseille et rassemble quatorze artistes dont le point commun est de vivre à Marseille et de travailler dans les ateliers municipaux de la ville – Victoire Barbot, Sophie Bueno-Boutellier, Madison Bycroft, Timothée Calame, Nicolas Daubanes, Arthur Eskenazi, Maïa Izzo-Foulquier, Fiona Mackay, Caroline Mesquita, Antoine Nessi, Sara Sadik, Alan Schmalz, Adrien Vescovi, Victor Yudaev et leurs invité·es.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Un souffle donc, à l’instar de celui qui fait bruire la contribution de l’un d’entre eux·elles, Adrien Vescovi, dont les pans de tissus, des draps récupérés dans divers dépôts-vente caritatifs de la ville, sert de scénographie à l’ensemble, organisant une circulation organique non autoritaire entre chacune des parties : des séries d’œuvres, ici rassemblées en ensembles monographiques laissant chaque singularité s’exprimer, plutôt qu’éclatées comme souvent lors de propositions de groupe les réduisant aux indices décontextualisés d’une démonstration curatoriale.
Des résonances qui se tissent de toutes parts
« Les artistes n’ont pour point commun que de respirer le mouvement de la ville où ils et elles ont décidé d’être, de créer, de vivre », posent d’entrée de jeu Céline Kopp et Marie de Gaulejac, commissaires de l’exposition portée par Triangle-Astérides, centre d’art contemporain et programme de résidences hébergé parmi les associations de la Friche, qui accompagnent ces artistes depuis deux ans.
La force de l’exposition y réside : aucun des langages déployés ne ressemble à un autre, et l’on se plonge d’abord dans chacune des pratiques individuellement avant de percevoir, dans un second temps, les résonances qui se tissent de toutes parts, mais que chaque visiteur·euse percevra certainement agencées autrement. L’entrée se fait par un discret « Fuck the police » tracé ton sur ton sur l’une des six planches à l’aquarelle d’Alan Schmalz, déclinant dans une esthétique voisine de l’agit-prop soviétique les rouages de la rationalité gouvernementale hygiéniste.
Non loin, Timothée Calame détourne, avec un humour aussi déshumanisé que l’est la standardisation des marchandises, les objets qu’il collecte sur le chemin de son atelier : un masque chirurgical bleu, devenu le symbole que l’on sait de l’exploitation en Chine du peuple ouïghour, berce une figurine de Pinocchio. « Un grand nombre d’œuvres sont imprégnées des duretés systémiques et sociales alors que l’espace est traversé par la lumière, comme l’horizon de Marseille ouvrira toujours malgré tout sur l’horizon de la mer », glissent les curatrices.
Un cri du cœur et du corps
L’analyse des structures se retrouve plus loin comme un cri du cœur, et du corps, à travers les trois films des actions dans l’espace public de Maïa Izzo-Foulquier, qui mettait fin à ses jours le 16 décembre dernier. Artiste, activiste, porte-parole du Syndicat du Travail Sexuel (STRASS), on la voit décliner son Curriculum vitae en écrivant au mur, au bord d’une autoroute, « PUTE ET PEINTRE ».
Dans un recoin éclairé de lumière bleutée, la pierre brûlante se fait météorite et l’on bascule dans le récit d’anticipation, alors que Sara Sadik, exploratrice de ces mythologies urbaines qu’elle nomme « culture beurcore », invite à visionner Lacrizotiek, coécrit et interprété par huit adolescent·es de La Busserine (cité du nord de Marseille – ndlr) qui racontent, comme en direct d’une chaîne d’information, l’apparition d’ovnis dans le quartier.
En passant par les escaliers enfin, Arthur Eskenazi invite la compagnie Organon Art à présenter le projet « Belle de Mai à l’assaut du ciel », résultat d’ateliers menés avec des enfants du quartier à la recherche de la mémoire du bataillon de la Belle de Mai, composé à 60 % d’immigrés, premier à prendre les armes et dernier à les rendre lors du soulèvement de la Commune à Marseille en 1871.
Par une porosité non illustrative, Sur pierres brûlantes replace les artistes au centre. Avec la ville, il·elles respirent. A travers elle, leurs pratiques s’amplifient, soit qu’elles y rencontrent un sujet et des matériaux, soit qu’elles y trouvent des conditions matérielles d’existence et de production. Là, les spécificités de chacun·e, ces racines que chacun·e, même le·la nomade, apporte avec lui·elle, croissent. Parfois elles dialoguent, parfois elles s’allient, mais la coexistence n’est jamais une confusion, ni même un alignement sur une forme, un discours ou une norme se donnant comme valables pour tous·tes, en tous lieux.
Sur pierres brûlantes jusqu’au 25 octobre à la Friche la Belle de Mai, Marseille et dans le cadre du programme « Les Parallèles du Sud » de la biennale Manifesta 13
{"type":"Banniere-Basse"}