Les opposants à la performance du Sud-Africain Brett Bailey, « Exhibit B », dénoncent une œuvre qu’ils jugent raciste et insultante. Mais plus que son annulation, ils expriment leur ras-le-bol face à une représentation des Noirs en France qu’ils estiment négative.
Dimanche 7 décembre. Paris, XIXe. Deux cents personnes manifestent dans le calme et dans le froid devant le CentQuatre contre l’installation-performance Exhibit B qui se tient dans le centre d’art contemporain jusqu’au 14 décembre.
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Mise en scène par le Sud-Africain blanc Brett Bailey, la performance interprétée par des comédiens noirs, présente des images fortes et, pour certains, dérangeantes. Une femme, sur son lit, prisonnière d’une chaîne autour de son cou, un homme sur un siège d’avion, bâillonné. Ses détracteurs l’accusent de reproduire des “zoos humains” en “exhibant” des Noirs.
Déjà le 28 novembre, devant le Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis (TGP), des opposants à Exhibit B avaient manifesté leur colère devant une œuvre qu’ils jugent raciste et insultante pour la communauté noire. Ce n’est pas en montrant des personnes « immobiles » et « réduites au silence » que l’on peut dénoncer les horreurs de l’esclavage ou du colonialisme, estiment-ils, allant jusqu’à réclamer l’annulation comme à Londres en septembre. « Nous avons parlé d’annulation car nous avons voulu ouvrir le débat », clame Franco, porte-parole du collectif qui s’est formé contre Exhibit B. Il fait partie de la Brigade anti-négrophobie, association qui s’est mobilisée aux côtés des Indigènes de la République, de l’Ausar.
Toujours des images négatives ?
“C’est encore et encore une image négative des Noirs”, s’indigne un des manifestants devant le TGP qui déplorent qu’il faille attendre que l’on parle d’esclavage pour faire appel à des comédiens noirs. Une « image négative » qui vient s’immiscer dans un contexte où les Noirs sont peu représentés dans le milieu de l’art. Dieudonné Gnammankou, historien opposé à Exhibit B, relève :
« Acteurs, comédiens, scénaristes, … Dans tous les corps de ce métier, et plus particulièrement dans les instances de direction, les Noirs sont sous-représentés. »
Certains, plus rares et radicaux, s’interrogent sur la légitimité même des auteurs blancs à s’emparer de telles thématiques. Une réaction qui “empêche toute liberté créatrice” selon l’historien Yvan Gastaut qui fait partie du Comité d’orientation de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration.
Comment représenter ?
“Exhibit B évoque une réalité, qu’on le veuille ou non”, défend Catherine Quiminal, anthropologue et sociologue, membre du Centre d’études africaines de l’EHESS. Yvan Gastaut s’interroge quant à la mauvaise interprétation du message :
“Des personnes pensent, à tort ou à raison, que le spectateur ne sera pas capable de faire le discernement entre de vrais zoos humains et cette performance qui les dénonce”
Un argument que le collectif juge « paternaliste » et « insultant ». « Comme si nous n’avions pas la capacité intellectuelle pour en pénétrer la finesse », s’indigne Franco. Pour Dieudonné Gnammankou, une telle exposition pourrait éventuellement être acceptable si l’Etat avait terminé son travail de mémoire. De son côté, Rokhaya Diallo, journaliste, avance que « le problème, ce n’est pas d’en parler, c’est comment en parler. » Dans Exhibit B, l’absence de la figure des colons et des esclaves révolutionnaires ne passe pas. Le collectif juge que le choix de Brett Bailey ne justifie pas que l’on présente une « vision partielle et partiale de l’histoire ».
Deux antiracismes
“Deux antiracismes s’affrontent aujourd’hui dans une incompréhension mutuelle”, décrit Eric Fassin dans une tribune sur Mediapart. D’un côté, celui du Mrap ou la Licra qui soutiennent Exhibit B et de l’autre le collectif formé par des organisations plus récentes comme la Brigade Anti Négrophobie, pour qui cette installation est en elle-même raciste. Au cœur de leurs divergences : la représentation des personnes noires dans notre société. « C’est assez nouveau », constate Catherine Quiminal :
“Ces groupes ont besoin de défendre leur cause. En sociologie, on appelle ça le renversement du stigmate : de la différence qui nous rend minoritaires, on veut tirer quelque chose de positif. Mais souvent, ça tend vers l’extrême. Les manifestants ont le droit de s’exprimer et d’exiger des choses. Mais ce n’est pas une raison pour demander l’annulation d’un spectacle.”
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