Un sujet grave n’implique pas nécessairement un traitement sombre. D’où le côté « Je suis Charlie » des spectacles présentés le 12 février au festival Reims Scènes d’Europe.
Reims Scènes d’Europe participe à sa façon à la commémoration du centenaire de la Première guerre mondiale en réunissant des spectacles venus de toute l’Europe qui traitent de la Grande guerre, de la guerre tout court et du terrorisme.
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D’abord, la farce. Avec La Baraque, mise en scène par Ludovic Lagarde, l’auteur Aiat Fayez dégoupille la mécanique du terrorisme en la traitant par l’absurde. Nihilistes et opportunistes, Grand et Petit sont deux paumés, chômeurs, qui fabriquent leur première bombe pour se venger d’une usine de chaussures. Leur grief ? Quand Grand a balancé Petit par la fenêtre parce qu’il fumait un joint avec une copine et que l’odeur du shit se répandait dans tout l’immeuble, il l’a salement amoché. Mais c’est la faute aux chaussures de Petit qui ont glissé et provoqué sa chute.
Ça ne tient pas debout ? Ce n’est pas grave, c’est même fait pour. Comment prendre au sérieux des personnages de cartoon affublés d’oreilles de troll qui négocient bientôt avec des commanditaires aux têtes de chien ou de chat ? Dénués de la moindre idéologie, ils croulent bientôt sous les commandes, l’argent coule à flot. Leur petite entreprise ne connaît pas la crise. Pour finir, ils se spécialisent dans les bombes chimiques et leur antidote, les masques à gaz, achetés par millions par le gouvernement. Pas de morale à cette histoire, pas de résolution dramaturgique non plus, ça se finit en queue de poisson et c’est logique : l’absurde, par nature, tourne le dos à la raison. Métaphore de la terreur ?
Common Ground, mise en scène Yael Ronen
On a retrouvé avec grand plaisir la dernière création de l’israélienne Yael Ronen, Common Ground, invitée pour la troisième fois à Reims Scènes d’Europe, aujourd’hui metteur en scène associée du théâtre Gorki de Berlin, dont la particularité est d’être en phase avec le quartier de Kreutzberg où il est installé, cosmopolite en diable.
Chez Yael Ronen, l’humour est une arme redoutablement efficace pour déminer les conflits, le premier pas vers la réconciliation – avec soi d’abord, puis avec l’autre. Un théâtre documentaire sensible qui se nourrit du vécu de ses acteurs pour construire l’édifice fragile d’un spectacle aussi drôle qu’émouvant. Sarajevo et la guerre des années 90 en Yougoslavie sont au coeur de Common Ground (Terrain d’entente), créé avec des acteurs venus de Bosnie, de Serbie, de Croatie, d’Israël et d’Allemagne et vivant aujourd’hui à Berlin.
Sur scène, des blocs de bois empilés, tels un jeu de cubes qui va très vite voler en éclats et donner lieu à de multiples recompositions. Un spectacle en deux temps, très contrastés, qui restitue le processus de création d’une troupe qui, pour parler d’une guerre de cinq ans, part pour un voyage de cinq jours en Bosnie-Herzégovine.
Rythme haletant pour la séquence d’ouverture, sur le mode chaîne d’infos en continu, qui multiplie et mélange, sans hiérarchie, les faits marquants des années 90 en Europe et dans le monde entier, en y mêlant les parcours d’enfants nés Yougoslaves avant d’être désignés comme Serbes, Bosniaques, Croates, Kosovars, Slovènes… Puis vient le temps du voyage. La multitude d’écrans de télévision qui accompagnent le premier tableau laisse place à un mur gris où, au fil du récit, défilent les images filmées en noir et blanc pendant leur périple pendant que chacun, enfant de criminel de guerre ou enfant de disparu, raconte son histoire, ses tourments, sa culpabilité.
Si le rire constitue le meilleur terrain d’entente de cette troupe, c’est parce qu’elle place l’humain au-dessus de l’arbitraire des divisions instaurées par l’Histoire, modifiant à son gré les frontières et brisant les identités au mépris des générations passées et à venir. Pour preuve, le point d’orgue réjouissant de Common Ground fait voler en éclats l’illusoire et fantasmatique notion d’identité nationale à travers la reconstitution, jouée par l’ensemble de la troupe, de l’arbre généalogique mosaïque de Dejan Bucin. La démonstration flagrante d’une Histoire qui s’avère un sac de noeuds qu’on ne saurait dénouer sans raffermir d’abord les liens qui la composent.
Fabienne Arvers
Festival Reims Scènes d’Europe, jusqu’au 21 février à Reims.0326 35 61 12.
Common Ground, mise en scène Yael Ronen, le 13 février.
Grand débat : L’art et la guerre, sous la direction de Georges Banu, le 14 février à 15h. Avec les metteurs en scène Luk Perceval, Sanja Mitrovic, Ludovic Lagarde, Jens Hilje, codirecteur du Théâtre Gorki de Berlin. Entrée libre.
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