En ouvrant un nouvel espace de 400m2 près de Palais Royal, la galerie parisienne Triple V passe du simple au double. Vincent Pécoil, son co-fondateur, en retrace les 6 années d’existence. Et fait le point sur les évolutions du métier de galeriste et de la scène artistique hexagonale.
Une boule à facettes monumentale barre la moitié de l’entrée, tandis qu’au sol, des cartons estampillés Louboutin débordent de ce que l’on suppose être des dossiers d’artistes. Dans un petit mois, les traces rappelant les anciennes fonctions du 5 rue du Mail, un show-room de créateurs de mode à deux pas des jardins du Palais Royal, auront été gommées. Les monteurs s’y affairent déjà, démontant les anciens lambris boisés afin de reconvertir le lieu en white-cube. Et d’accueillir, dès le 4 février, les quelques 400m2 du nouvel espace d’exposition de la galerie Triple V, jusqu’alors sise rue Louise Weiss, dans le XIIIe arrondissement.
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Installée à Paris depuis 2010, la galerie représente une petite vingtaine d’artistes. Avec une prédilection non exclusive pour la peinture, souvent abstraite, parfois optico-cinétique, et presque toujours mâtinée d’art conceptuel, sa programmation fait le pont entre les générations d’artistes, mais aussi entre la scène hexagonale et outre-atlantique. Ainsi, c’est là que l’on a pu voir à Paris des œuvres de maîtres dont la réputation n’est plus à faire comme John Tremblay, Blair Thurman ou encore Wade Guyton, tout y suivant les évolutions de plus jeunes artistes – Nicolas Roggy, David Malek ou Delphine Reist.
Le déménagement de la galerie vient prolonger un véritable jeu de chaises musicales initié l’été dernier. En choisissant de s’installer à l’écart des points névralgiques habituels, à savoir le Haut Marais, Belleville et dans une certaine mesure la rue Louise Weiss, la galerie Triple V emboîte le pas à la galerie Crèvecoeur, quittant Belleville pour le Ménilmontant, ou encore Art:Concept, préférant Rambuteau au Haut Marais. Pour ces galeries, s’éloigner du circuit usuel pour investir des espaces plus spacieux permet de concilier les différents enjeux et temporalités des expos monographiques ou thématiques, des project-rooms consacrés aux artistes émergeant et des show-room dédiés aux pièces maîtresses.
Pour autant, les dernières années ont également été synonymes d’un renforcement du fonctionnement en réseau, que la simple proximité géographique ne garantissait pas forcément. En témoignait de manière éclatante à l’automne l’initiative conjointe de six galeries, dont cinq parisiennes (et parmi elles, Triple V), de fonder une foire indépendante durant la FIAC, Paris Internationale. La consolidation d’une scène parisienne, voilà notamment l’un des changements notoires que constate Vincent Pécoil, co-fondateur de la galerie Triple V, lorsque nous lui avons demandé de revenir sur les évolutions du métier de galeriste. Entretien.
Pourquoi ce nom, galerie Triple V ?
Vincent Pécoil – A l’origine, on était trois. Le designer Olivier Vadrot, Virginie Guillerot, qui a quitté l’aventure depuis, et moi-même : le nom provient tout simplement des trois V de nos initiales. A l’arrière-plan, il y a aussi un clin d’oeil à une revue surréaliste éditée par André Breton et le peintre David Hare à New York dans les années 40 intitulée « VVV » : une passion de jeunesse.
La création de la galerie est le fruit du hasard. Avec Olivier Vadrot, on avait le projet de monter une société juridique pour nous aider à faire de la production d’œuvres et du commissariat d’expositions. Cette société, nous l’avons montée ad hoc à l’origine lorsque nous avons été invités par le MAC (Musée d’Art Contemporain) à de Lyon à réaliser une expo qui s’appelait « Freak Show » en 2007. Puis on nous a donné l’opportunité d’occuper un local vide dans le centre ville de Dijon : c’est comme ça que nous avons monté la galerie. Ce n’était pas forcément une vocation au départ.
L’acte de naissance de Triple V remonte à 2007. Nous n’avons jamais cherché à définir une quelconque identité, encore moins d’avoir une approche générationnelle. Les premiers artistes que nous avons exposé ont été ceux avec qui nous avions déjà travaillé, que ce soit au centre d’art La Salle de Bain à Lyon où nous collaborions déjà, ou en tant que critique et commissaire d’exposition indépendant dans mon cas.
En 2010, la galerie quitte Dijon pour Paris. Vous ne vous installez pas dans le Marais, alors l’épicentre des galeries, mais rue Louise Weiss dans le 13e arrondissement…
Là aussi, le jeu des hasards et des rencontres a joué. Nous avions d’abord trouvé un espace rue des Arquebusier dans le Marais, non loin de l’ancien emplacement de la galerie Art :Concept. Puis l’artiste et designer Florence Doléac, avec qui nous travaillons, m’apprend que la galerie Philippe Jousse quitte son espace rue Louise Weiss, qui était deux fois moins cher et trois fois plus grand. A l’époque, rue Louise Weiss, il y avait déjà la galerie niçoise Air de Paris, que j’apprécie beaucoup. En revanche, la galerie Perrotin n’y était plus, même si elle a en réalité gardé son espace là-bas, qui lui sert à présent de stockage.
Vous avez déclaré que la galerie n’a pas vraiment d’identité assignable. Lors d’une de vos expos personnelles, « La Lettre Volée » au FRAC Franche-Comté en 2004, vous parliez d’ « abstraction trouvée ». Conviendrait-il également à la ligne de la galerie ?
Absolument, cette thématique est très importante pour moi : elle se situe au croisement de courants artistiques qui m’ont toujours intéressés – le pop-art, la peinture abstraite classique et les formes d’art conceptuel et d’appropriation liées à l’art des années 1980. Mais encore une fois, ce n’est pas exclusif.
Début février, la galerie ouvrira rue du Mail près de Palais Royal, s’agrandissant considérablement en termes d’espace. Qu’est-ce qui a rendu possible cette nouvelle étape ?
La galerie a un nouvel associé, Laurent Strouk, également galeriste. Cela fait six mois que nous étions à la recherche d’un nouvel espace. Nous avions d’abord jeté notre dévolu sur un lieu rue de Turbigo où il y avait énormément de travaux à faire. Nous étions sur le point de signer lorsque nous avons entendu parler de cet espace – ça s’est décidé en l’espace d’une demi-journée.
Le déménagement ne changera rien ni à la programmation, ni à la liste d’artistes. Pendant une année au moins, nous allons également garder notre espace rue Louise Weiss, qui deviendra un show-room où montrer de plus jeunes artistes. Lors de la première de ces expos, nous présenterons le travail de Flora Moscovici, tandis que dans le nouvel espace, le premier accrochage sera constitué de nouvelles pièces des artistes de la galerie.
Vous ouvrez un plus grand espace alors même qu’il est beaucoup question de la dématérialisation du travail du galeriste. Non seulement par rapport au travail à distance ou à la vitrine qu’est internet, mais aussi au rôle exponentiel des foires internationales, qui délitent l’attachement de la galerie à un lieu fixe…
C’est vrai, mais en même temps, les artistes veulent toujours montrer leur travail physiquement. Ça ne les intéresse pas de montrer leur travail via une collection de vignettes qui défilent sur un iPhone. Pour cette raison, la galerie physique reste un lieu très important : de manière générale, la galerie est l’endroit où les œuvres apparaissent pour la première fois, avant qu’elles soient exposées dans les centres d’art ou les musées. Il y a donc aussi un rôle crucial de la galerie au niveau de l’histoire de l’art. Et pour ma part, je reste très attaché à la forme de l’exposition en tant que telle.
Justement, vous avez un parcours plutôt atypique puisque vous avez commencé comme critique d’art, enseignant aux Beaux-Arts et commissaire d’expositions : loin du marché, donc. Pour vous, c’est quoi être galeriste aujourd’hui ?
Je suis un galeriste très multi-casquettes : je conduis aussi des camions ! Je ne vois pas de rupture avec mes activités passées, j’ai l’impression de continuer à faire la même chose sous une autre forme. Lorsque l’on est critique d’art, on soutient et on accompagne des artistes, un travail. Le galeriste le fait à travers le marché et la production d’expositions.
Je suis galeriste depuis neuf ans. Durant ce laps de temps, je n’ai pas vraiment eu l’impression de ressentir une évolution majeure du métier, qui se serait plutôt produite dans les années 1990. Lorsque j’ai débuté, les foires avaient déjà autant d’importance ; il n’y a pas eu de bouleversement majeur.
Cet automne, la galerie faisait partie des membres fondateurs de Paris Internationale, une nouvelle foire indépendante née du regroupement de sept galeries, dont six parisiennes. Se dirige-t-on vers plus d’initiatives communes de la part des galeries ?
Pour apparaître comme une scène artistique, au moins à l’échelle de Paris, il est essentiel de se regrouper et de faire des choses ensemble. Pour en revenir à la question précédente, le changement que je constate se situerait plutôt à ce niveau-là : lorsque la galerie s’est implantée à Paris, cet aspect était beaucoup moins présent. En 2007-2008, les conversations des artistes et des curateurs tournaient très souvent autour du peu de dynamisme de la scène française. Il me semble que ce n’est plus le cas : peut-être est-ce la collaboration accrue qui a contribué à faire évoluer la perception des choses. Une forme de solidarité est cruciale ; c’est le cas avec « Galeries Mode d’Emploi » [une carte des galeries répertoriant les vernissages par date], Paris Internationale, et les dates souvent communes des vernissages selon les quartiers.
Propos recueillis par Ingrid Luquet-Gad
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