Emblématique du théâtre politique des années cinquante, l’œuvre d’Arthur Miller questionne plus que jamais notre monde où la solution aux crises passe encore par la désignation de boucs émissaires.
Faisant le choix de donner à entendre le répertoire théâtral des années 1950, Emmanuel Demarcy-Mota multiplie les occasions de rendre hommage à la réactivité et la lucidité des artistes de cette époque charnière. Tendue comme une corde, sa mise en scène des Sorcières de Salem d’Arthur Miller résonne de mille stridences à la manière d’un signal d’alarme pour rendre compte de cette œuvre où la rumeur et le soupçon ont force de loi pour décider de la vie ou de la mort des citoyens.
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Un climat de suspicion généralisé
Avec Les Sorcières de Salem, Arthur Miller dénonce dès 1953 les perversions du maccarthysme qui sévit aux Etats-Unis de 1950 à 1954 en plongeant le pays dans un climat de suspicion généralisée envers ceux qu’on accusait de sympathies avec les idéaux communistes. En pleine Guerre froide, cette chasse à l’ennemi intérieur visait des militants, mais aussi des fonctionnaires tout autant que les artistes et le cinéma d’Hollywood déjà mis en cause depuis 1947 par la liste noire de la Commission des activités anti-américaines. L’époque n’est pas tendre envers la liberté d’expression, Arthur Miller ne prend pas le risque de se référer explicitement au maccarthysme dans son œuvre. S’inspirant de la chasse aux sorcières s’étant déroulée à Salem en 1692, l’auteur préfère le recul d’un événement historique pour signer une œuvre se hissant à la hauteur des tragédies grecques.
Des ombres inquiétantes modèlent le sol du plateau quasi nu où se déploie le drame vécu par cette communauté visée par une série de procès digne de l’inquisition. Pour se disculper d’un jeu où danser nues les avaient réunies la nuit en forêt, des adolescentes accusent les adultes qui leur sont proches de pratiques diaboliques. Au regard de la vérité historique, ils furent ainsi près d’un millier à être arrêtés pour collusion avec les forces du mal. Quatorze femmes et cinq hommes sont condamnés à la pendaison, sans oublier une femme noyée et un homme victime de lapidation.
Réunissant la troupe impeccable des acteurs du Théâtre de la ville pour dénoncer l’état du monde à travers Les Sorcières de Salem, Emmanuel Demarcy-Mota offre à Elodie Bouchez le rôle de la perverse Abigail, l’adolescente en crise déterminée à régler ses comptes avec son entourage. Dans celui du bouc émissaire, Serge Maggiani incarne un John Proctor d’anthologie à la hauteur de ce personnage qui entre dans la légende des héros du théâtre en assumant sa condamnation face à ses accusateurs plutôt que renoncer à sa liberté de penser.
Les Sorcières de Salem d’après Arthur Miller, mise en scène et version scénique Emmanuel Demarcy-Mota avec Elodie Bouchez, Serge Maggiani, Sarah Karbasnikoff, Philippe Demarle, Sandra Faure. Jusqu’au 19 avril Théâtre de la Ville à l’Espace Pierre Cardin, Paris 8e.
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