Faute de présenter au public son Dekalog, adapté de l’œuvre-monde de Krzysztof Kieślowski, Julien Gosselin le transforme en expérience filmique et crée un objet hybride et singulier.
S’il est un trait commun aux spectacles mis en scène par Julien Gosselin depuis sa révélation au Festival d’Avignon en 2013 avec Les Particules élémentaires de Michel Houellebecq, c’est bien sa propension à s’emparer d’un matériau littéraire pour le transmuer en dispositif dramaturgique et scénique.
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De l’adaptation de 2666 de Roberto Bolaño à celle de trois romans de Don DeLillo, Joueurs, Mao II, Les Noms, les années suivantes, son goût pour les spectacles fleuves et le mixage s’opérant entre le jeu des acteur·trices sur le plateau et la projection d’images filmées en direct signent un théâtre immersif unique en son genre.
Incursion dans l’art cinématographique
A première vue, son projet pour le Groupe 45 de l’Ecole du TNS, à partir du Décalogue du cinéaste polonais Krzysztof Kieślowski, aurait pu laisser croire à un pas de côté, écartant la littérature pour une incursion dans l’art cinématographique. Mais il n’en est rien.
https://youtu.be/gBngvRdSwtY
Cette série de dix films réalisés à la fin des années 1980, Julien Gosselin ne l’a encore jamais vue, à l’exception d’un épisode quand il était adolescent. C’est encore une fois le texte qui a présidé à son choix.
“Là, ce n’était pas moi qui réinventais quelque chose à partir d’une matière littéraire ; ça roulait tout seul tellement c’est bien écrit”
“Quelques mois après la proposition de Stanislas Nordey de faire un stage au TNS avec les élèves, j’ai découvert les scenarii du Décalogue chez mon administratrice Eugénie Tesson. Je les cherchais depuis longtemps, et voulais d’ailleurs trouver les DVD, mais ils n’étaient pas réédités et restaient introuvables. Je les ai lus, et j’ai trouvé ça incroyable.
Je ne me voyais pas en faire une production immédiatement ; par contre, c’était idéal à faire en atelier. Là, ce n’était pas moi qui réinventais quelque chose à partir d’une matière littéraire ; ça roulait tout seul tellement c’est bien écrit. C’est super-cruel, avec ce côté moraliste que j’aime bien, que l’on retrouve chez Eric Rohmer ou Michel Houellebecq.”
Les annulations se sont enchaînées
Testé en atelier, le projet du Dekalog devient le spectacle de fin d’études du Groupe 45, et devait être créé en juin 2020 au festival Printemps des Comédiens avant de tourner la saison suivante. Les annulations se sont enchaînées depuis lors, notamment les dates prévues en février 2021 à la MC93 à Bobigny.
“Le spectacle dure cinq heures, sans entracte, et le public est convié à monter sur le plateau ; le montrer à quelques personnes n’aurait aucun sens”
Julien Gosselin aurait pu, comme tant d’autres, inviter les professionnel·les à voir le spectacle. Il n’en fut rien.
“Le spectacle dure cinq heures, sans entracte, et le public est convié à monter sur le plateau ; le montrer à quelques personnes n’aurait aucun sens. J’ai proposé à Hortense Archambault – directrice de la MC93 – de faire un tournage du spectacle pendant deux semaines. Pas une captation – je m’en méfie vraiment –, mais un objet hybride : le film d’un projet de théâtre. On tourne vingt minutes par jour, c’est énorme.”
Une hybridation féconde
Lorsque nous venons y assister, Julien Gosselin tourne l’épisode “Tu respecteras le jour du Seigneur” qui se déroule la nuit de Noël et accompagne l’errance urbaine d’un chauffeur de taxi et de son ex-maîtresse, qui recherche son mari alcoolique. Dans le spectacle, le couple d’amant·es est joué par deux actrices, Majda Abdelmalek et Clémence Boissé.
Sur le plateau, les décors s’alignent – salon, salle de bains, église, taxi garé dans la rue – et se modifient à mesure que les séquences s’enchaînent. A l’équipe du caméraman du spectacle s’est ajoutée la présence d’une directrice de la photographie, Pauline Sicard, et d’un ingénieur du son, Francis Bernard, venu·es du cinéma.
“On tourne dans une boîte noire, on n’a pas de vrais décors de cinéma, il y a toujours du système D”
“Je les ai rencontrés par l’intermédiaire de Stéphane Demoustier, réalisateur et producteur du film. On tourne dans une boîte noire, on n’a pas de vrais décors de cinéma, il y a toujours du système D, et tout ça existe encore plus fortement avec le tournage.
L’idée n’est pas de faire un film sur Le Décalogue. C’est Kieślowski qui l’a créé. C’est bien l’idée d’un objet hybride où l’on voit ce que l’on filme, ce que les gens regardent sur l’écran d’un spectacle, et, en même temps, ce qu’ils ont plaisir à découvrir sur la fabrication du plateau tel qu’il est en train de se faire, comment les cadreurs, les pans de mur bougent.
On va combiner les deux pour arriver à une sorte d’expérience d’immersion à l’intérieur du processus de fabrication de la forme que l’on construit. Mais ce n’est pas un documentaire non plus.”
C’est tout l’intérêt de la chose. Une hybridation féconde pour explorer plus avant l’art de la représentation, commun au théâtre comme au cinéma.
Dekalog, d’après Krzysztof Kieślowski et Krzysztof Piesiewicz, mise en scène Julien Gosselin, avec le Groupe 45 de l’Ecole du TNS – dates à préciser
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