Chaque lundi, Les Inrocks vous propose de découvrir une œuvre d’art. Cette semaine, en prévision de notre numéro spécial sexe, plongée en Mer du Nord belge à la rencontre de coquillages (explicites) pas comme les autres, ceux de Jan Fabre.
Homme orchestre sans sommeil, l’Anversois Jan Fabre, né en 1958, est un insatiable créateur à la fois plasticien, auteur et metteur en scène. Son art comme son théâtre recèlent des thèmes chers à l’artiste, qu’il réinvestit en permanence : la Belgique, son nationalisme et son folklore, la religion catholique et ses symboles, les passions humaines – sexe et violence, les liens entre art et science. Courte énumération pour n’en citer que certains tant l’œuvre de Jan Fabre est foisonnante, et toujours mâtinée d’une provocation insidieuse ou bien plus directe.
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Pour sa carte blanche dans la nouvelle adresse parisienne de la galerie Templon, Jan Fabre a créé spécialement deux séries fantaisistes et truculentes où phallus et vulves se déploient joyeusement dans un univers carnavalesque. Qu’il s’agisse de l’intrusion d’un sexe explicite dans les représentations classiques d’une Belgique religieuse et folklorique (Folklore Sexuel Belge, 2017-2018), ou de la réinvention sexualisée du bestiaire aquatique de la Mer du Nord (Mer du Nord Sexuelle Belge, 2018), Jan Fabre s’évertue à coloniser ses œuvres de sexes, d’orifices et de gamètes. D’une provocation festive, appelant bien davantage à la légèreté qu’à l’indignation.
Coquillages et crustacés
Jan Fabre, Coquillage belge lécheur, 2018, Photo Pat Verbrueggen. ©Jan Fabre, Angelos bvba. Courtesy Templon, Paris
Comme souvent dans ses séries (comme pour Ma Nation : l’Imagination, actuellement exposée à la Fondation Maeght), Fabre exploite à outrance son motif, qu’il décompose sous toutes les formes. Le sexe ici, avant tout comme organe sexuel, devient coquillage ou crustacé, et nous fait voguer sur des mers colorées, frétillantes et bien excitées. Chaque nouveau coquillage est prétexte à association sexuelle, mais pourquoi s’en priver à l’égard de formes aussi propices à la métaphore ? Jan Fabre de n’y trompe pas et s’y engouffre : toutes ces rondeurs, ces cavités et ces longueurs phalliques deviennent facilement, naturellement, le nouveau réceptacle d’une vie sexuelle sous-marine.
Ainsi des pénis charnus pointent en dehors de leur coquille colorée, d’abord farouches puis de plus en plus téméraires ; petite chronologie en trois étapes d’une érection en milieu aquatique. Les vulves, quant à elles, sont accueillies par des étoiles de mer, qu’on regrette d’ailleurs d’être toutes roses, et dont on préférera interpréter les piquants comme indices d’une sexualité associée plutôt que comme la représentation menaçante du sexe féminin. Poissons-orifices, coquillages lécheurs ou épineux, la Mer du Nord de Jan Fabre est bien peuplée, et donne envie d’aller s’y baigner quand grimpe la température !
Sexe en fête-paillettes
Car il semble faire bon s’ébattre en Mer du Nord ou en Belgique. Loin de la grisaille nationaliste et des pollutions maritimes, Jan Fabre fait de son bestiaire ou de son folklore belge une fête, un carnaval visuel et sonore. Toutes les œuvres sculptées des séries sont ainsi recouvertes de paillettes, sequins et autres pompons, qui en font un spectacle. Le subversif et la crudité des œuvres sont ainsi détournés pour n’être plus que farandole bigarrée, fantaisie sexuelle des plus plaisantes.
Le sexe fabresque est chamarré, pailletée et rieur. Un tantinet burlesque, son côté carnavalesque désamorce le caractère explicite et vulgaire, potentiellement grinçant de la représentation des sexes. Finalement, son sexe aquatique ou folklorique a quelque chose de naïf qui légitime sa légèreté d’approche, et la rend bon enfant. Ode – comme son autel/orgue de barbarie – au sexe simple et enjoué : sans fulgurance, c’est rafraîchissant comme une baignade estivale, léger comme les paillettes.
Folklore Sexuel Belge (2017-2018) et Mer du Nord Sexuelle Belge (2018), édité et offert par Jan Fabre, le Bon Artiste Belge à la Galerie Daniel Templon. Cet été, la Fondation Maeght invite Jan Fabre pour son exposition Ma nation : l’imagination, jusqu’au 11 novembre.
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