Si l’on s’en tient aux airs populaires, on est passés de “Ah, ça ira, ça ira, ça ira, les aristocrates on les pendra” à Ça ira mieux demain d’Annie Cordy en deux petits siècles. Pas brillant comme constat, mais il en dit long sur la régression durable que nous subissons. En 2007, Anne- Laure Liégeois […]
Si l’on s’en tient aux airs populaires, on est passés de “Ah, ça ira, ça ira, ça ira, les aristocrates on les pendra” à Ça ira mieux demain d’Annie Cordy en deux petits siècles. Pas brillant comme constat, mais il en dit long sur la régression durable que nous subissons. En 2007, Anne- Laure Liégeois mettait en scène l’hilarant L’Augmentation, tiré de L’art et la manière d’aborder son chef de service pour lui demander une augmentation de Georges Perec. Elle en propose aujourd’hui une suite directe dans un décor quasi à l’identique, parcouru en tous sens par les mêmes comédiens, plus un troisième larron. Avec Débrayage, écrit par Rémi De Vos, voici venue l’heure du chômage de masse.
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“Après L’Augmentation, il était important, nécessaire et presque vital de poursuivre l’aventure commencée sur “le monde du travail” et particulièrement de “l’entreprise”, annonce Anne-Laure Liégeois. Il fallait une écriture brillante, mordante, joueuse comme celle de Perec, un propos sans concessions.”
De Débrayage, elle a choisi cinq extraits, plus un inédit, “L’Intérimaire”, qui mettent en scène trois personnages, A, B et C, deux hommes et une femme aux prises avec les horaires, le harcèlement sexuel, l’intérim, la perte et la recherche d’emploi, les échecs à répétition, l’humiliation… Plantés devant un paysage de montagnes suisses aux raccords mal foutus et sous le nez du public installé sur le plateau, A, B et C sont interchangeables d’une scène à l’autre et changent de costume et de perruque entre deux portes. Des looks improbables de chômeurs en déroute ou d’employés au stress à flux tendu qui ouvrent et concluent le spectacle par une séance de relaxation collective, dont on ne saurait contester le réconfort qu’elle doit procurer à un ex-mineur passé de Schtroumpf costaud à Schtroumpf chômeur, après son entretien d’embauche pour devenir agent d’accueil à Aqua Plouf…
Entre chaque scène, un interlude où retentit la voix d’Annie Cordy : “ça ira mieux demain”, à la fois méthode Coué et talisman de l’employée de bureau ou du prolo dressés au management participatif, tandis qu’A, ou B, ou C, assis face au public, laisse enfin tomber le masque et échapper le trop-plein d’émotions. Hilarant, le mot est faible, pour qualifier un spectacle qui résonne d’autant mieux qu’il réserve une place de choix à l’insolence, l’insoumission ou, même maladroite, à la réflexion politique : “Les acquis, c’est pas inné. C’est la lutte finale ou la solution finale, les gars, faut choisir.”
Vue sous l’angle des lendemains qui déchantent, la force de cette première pièce de Rémi De Vos est de réhabiliter la dignité de personnages considérés comme superflus par le capitalisme mondialisé, aussi ridicules que soient leurs fringues, leur vocabulaire ou leur situation. C’est à Baudelaire, dans Hygiène, que revient le mot de la fin, glissé dans le programme : “Le plaisir nous use. Le travail nous fortifie. Choisissons.”
Fabienne Arvers
Débrayage de Rémi De Vos, mise en scène Anne-Laure Liégeois.Avec Olivier Dutilloy, Anne Girouard, François Rabette. Au Théâtre du Rond-Point jusqu’au 6 novembre à 18h30, suivi de L’Augmentation à 21h.
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