Le Centre Pompidou célèbre le centenaire de l’École artistique de Vitebsk (1918-1922). Elle a abrité en son sein trois figures phares des avant-gardes russes du début du siècle : Marc Chagall, Kazimir Malevitch et El Lissitzky.
Les évolutions artistiques majeures dont il est question ici n’ont pas lieu dans l’agitation d’une capitale, mais dans une petite ville reculée de province, aussi pittoresque que paisible : Vitebsk. Située au nord-est de la Biélorussie actuelle, elle ne dénote pas particulièrement dans le paysage de l’art, elle n’est pas non plus connue pour sa faune artistique, mais devient dès 1918 l’un des centres névralgiques des avant-gardes européennes. Pourquoi ? En 1918, les bolchéviques se sont emparés du pouvoir et plongent le pays dans un état de guerre civile. Il souffle alors en Russie le vent torride de la contestation populaire. Tout affairés qu’ils sont à mater l’armée tsariste, les révolutionnaires donnent à de nombreux artistes des responsabilités clés dans le champ de la culture. Une première.
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C’est dans ce contexte que Chagall est nommé commissaire des Beaux Arts de Vitebsk, sa ville natale. L’artiste juif est alors tout auréolé d’un succès rencontré lors de son passage à Paris. Pris dans l’élan de la révolution, ravi de son statut enfin acquis de citoyen russe, il souhaite célébrer les idées socialistes qui affleurent dans le pays en fondant une école d’art nouvelle génération.
Un laboratoire des formes
Désireux de balayer d’un revers de main les vieilles idées du passé, il ne défend pas dogmatiquement une ligne esthétique qui incarnerait à elle seule la révolution, mais sait une chose essentielle : il faut enseigner l’art autrement et ce quoi qu’en pense la population locale, celle-ci restant un peu penaude face à ses propositions à la fois politiques et picturales. L’École populaire d’art est ainsi inaugurée en 1918 et elle est ouverte à tous, sans restriction d’âge et gratuite pour ceux qui n’en ont pas les moyens.
Mutée en véritable laboratoire pointu des formes artistiques, accueillant notamment le chantre du suprématisme Kasimir Malevitch, l’école est un peu passée à la trappe de l’histoire – en France en tout cas -, sa courte durée d’activité ayant probablement empêché sa juste appréciation. On retient surtout, concernant cette époque, la mythique école allemande du Bauhaus qui naîtra un an plus tard en 1919.
Un lieu d’émulation intellectuelle et de tensions…
Aussi révolutionnaire que sa cousine allemande, Vitebsk s’en détache pourtant par son approche moins autoritaire. Chagall ne conçoit pas de programme précis (les élèves peuvent assister aux cours qu’ils souhaitent) et recrute des professeurs que rien ne semble vraiment lier. Kasimir Malévitch, célèbre auteur du Carré noir sur fond blanc, y pose ses valises, comme l’architecte El Lissitzky, Mstislav Doboujinski, un peintre traditionaliste et Ivan Pouni un futuriste. Tous sont des artistes de renom. Et si, en l’occurrence, ils acceptent de déménager à Vitebsk, c’est bien parce qu’ils crèvent tous la faim pendant la guerre civile et que l’enseignement constitue une source stable de revenu.
L’école de Vitebsk réunit sous le même toit et pendant 4 ans des styles absolument contradictoires, faisant d’elle un lieu hors-norme d’émulation intellectuelle et artistique. Et un lieu de tensions… Malevitch poussera peu à peu vers la porte son fondateur Chagall. Charismatique et pédagogue, le théoricien vampirise autour de lui les étudiants et prend sous son joug le troisième pilier de l’école, El Lissitski. Ce dernier, d’ailleurs trop peu connu, signe des œuvres surprenantes dépliant sur la toile des architectures en perspective isométrique et présentées dans l’exposition.
© Adagp, Paris 2018
L’aventure Ounovis
A la différence de l’approche individualiste de Chagall, celle de Malevich considère l’art comme une expérience collective dont l’objectif est d’inventer une nouvelle réalité sur la toile mais aussi de la traverser pour partir à la conquête des espaces urbains. Naît alors à Vitebsk, Ounovis, un mouvement initié par Malevitch. Ses membres portent un blason sur le bras, – un carré noir sur fond blanc – en signe de reconnaissance. Ils imaginent des décors de théâtre, peignent des trams, recouvrent la ville de leurs occurrences géométriques… A Vitebsk, les artistes veulent révolutionner l’art, comme les bolchéviques ont su révolutionné la politique et le pays.
Chagall, Lissitzky, Malevitch. L’avant-garde russe – Centre Pompidou – 28 mars – 16 juil. 2018
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