Sous l’intitulé voyageur “Paris-New York-Paris”, la compagnie installée à Nancy raconte presque un siècle de danse.
Alors que le spectateur regagne son fauteuil dans la bonbonnière qu’est l’opéra de Nancy, un court film montre le Théâtre des Champs-Elysées à Paris en 1924. On est à la veille de la création de Relâche, “ballet instantanéiste en deux actes” de la paire Francis Picabia et Erik Satie. Jean Borlin en signe les danses, René Clair “l’Entracte” cinématographique qui n’a rien perdu de sa folie douce.
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Sur l’écran, on découvre un corbillard qui se fait la malle, une ballerine à barbe et autres excentricités. Remonter cette œuvre initiée par les Ballets Suédois n’est pas, on l’imagine, une sinécure. Peter Jacobson, le directeur du Ballet de Lorraine, et Thomas Caley s’y emploient en s’affranchissant de trop de références. Aidé par Christophe Wavelet, il garde la trame d’un ballet en deux temps avec ces hommes en frac, ces infirmières nonchalantes – avec une croix rouge sur la poitrine – et son « odalisque » d’un soir. Il reste de la création des indications sur la partition plus qu’autre chose. Autant dire que cette version laisse la part belle à l’imagination. L’influence évidente du music-hall donne aujourd’hui à cette Relâche les atours d’une fantaisie inclassable.
Etonnamment, ce programme Paris-New York-Paris s’ouvre sur une création contemporaine puisant dans le vocabulaire de la danse classique. Noé Soulier, avec pas mal d’aplomb, ose le défilé de pas académiques, puis un exposé des pas de préparation (qui servent de liaison dans le déroulement d’un ballet). Le résultat est vertigineux dans ce qu’il montre d’inachevé, de laissé à l’abandon.
Corps de ballet est, involontairement peut-être, le pendant au fabuleux Véronique Doisneau de Jérôme Bel avec sa danseuse qui déballe sa carrière en demi-teinte à la veille de prendre sa retraite du ballet de l’Opéra de Paris. William Forsythe, présent à Nancy ce jour-là, a dû apprécier ce dynamitage en douceur des codes classiques. Dans le final en solo, l’interprète enchaîne des gestes de pantomime histoire de dire, qui sait ?, son impossibilité de danser.
Sounddance, de Merce Cunningham sur une partition de David Tudor, sera le trait d’union en guise de feu d’artifices chorégraphique de la soirée. Les solistes du Ballet de Lorraine sortent littéralement du décor de Mark Lancaster – dont les costumes reprennent le drapé ! – pour se lancer dans un tourbillon visuel incessant. Porté improbable, gymnastique contemporaine, burlesque également, Sounddance est un plaisir à haute valeur ajoutée. Une géométrie du sensible où le regard capte la grammaire visuelle de Cunningham à l’image de ces bras balancés ou de ces sauts répétés, tout en s’ouvrant des horizons lointains. Et même si les danseurs peinent encore un peu, ces corps pliés-dépliés comme des origamis à taille humaine sont tout à fait réjouissants. Le public ne s’y est pas trompé et leur fit un triomphe. Merce Cunningham enfin populaire ? Il était temps…
Paris-New York-Paris, Opéra de Nancy jusqu’au 19 mars. 03 83 85 69 08
Reprise à la Biennale de Danse de Lyon les 16 et 17 septembre
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