Quatre ans après « Bat-Breath. Battery », le sculpteur David Douard expose « O’da’oldborin’gold » qui ne capture pas ses sujets mais se contente d’en transmettre l’énergie dissidente.
La dernière fois que David Douard est apparu dans les pages des “Inrocks”, c’était en novembre 2015. Au lendemain des attentats à Paris, il nous racontait placer sa confiance dans les espaces périphériques, au propre comme au figuré : la banlieue parisienne où il habitait, un territoire riche en ferments d’avenir et pourtant inexistant aux yeux des centres décisionnaires. Mais aussi dans les souterrains d’internet, ce darknet qui infusait Bat-Breath. Battery, sa première exposition à la galerie Chantal Crousel, inaugurée quelques semaines auparavant. Parcouru de câbles électriques et de sculptures-lampes semblables à des couveuses, rythmé du bégaiement d’une poésie vernaculaire glanée sur les forums, tout l’espace suintait du mal-être d’adolescents végétatifs en état de veille. Ni on, ni off, mais simplement là, dans un espace vaguement domestique, à perdre leur temps en attendant de voir, peut-être un jour, advenir leur heure.
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“Je pense à Guy Debord tous les jours”
Quatre ans plus tard, David Douard inaugure sa deuxième exposition dans la même galerie. Entre-temps, il a fait profil bas. Des pièces ici et là dans des expositions collectives, des solos à l’étranger (KURA., à Milan, en fin d’année 2018) et une résidence à la Villa Médicis l’an dernier. Présence discrète, il ne court pas les vernissages, préfère lire Guy Debord – “Je pense à lui tous les jours.”
Il faut dire que le sculpteur, diplômé des Beaux-Arts de Paris en 2011, s’est vite imposé comme l’un des artistes les plus suivis de sa génération. Certainement parce que s’exprime chez lui davantage une sensation qu’une esthétique, bien que cette dernière, fleur contaminée poussant à travers l’épais bitume des conventions, a de fait fini par faire émerger un ensemble de gestes formels souvent repris, et revus.
Un vocabulaire qui a muté
A ce titre, beaucoup guettaient sa nouvelle exposition comme la potentialité d’une rupture, comme l’irruption d’une nouvelle esthétique. Rien de cela. A vrai dire, O’da’oldborin’gold aurait tout aussi bien pu être produite un an, et non quatre, après la précédente exposition. Dans sa foulée donc. Car on retrouve l’artiste, on le reconnaît. Certains éléments visuels reviennent comme un écho ou une répétition : ses lampes-couveuses qui ont évolué, les mêmes fragments de poésie qui lui sont propres, seulement plus altérés, moins immédiatement repérables.
Son vocabulaire, David Douard l’a fait muter. Durablement habité par les mêmes obsessions, il s’est contenté de les laisser croître en lui. L’exposition, explique-t-il lorsqu’on le rencontre, n’est pas la fin de son travail qui, tout comme ses sujets, existe aussi hors-cadre, et se développe le mieux dans les interstices. “Il s’agit toujours, pour moi, de capturer un flux, mais je souhaite maintenant exclure les références. Le grand problème politique actuel, c’est qu’on n’a de cesse d’objectiver les choses, de les cadrer. Or les formes de vie qui m’intéressent, c’est-à-dire les nouvelles manières de se représenter politiquement, agissent hors de la visibilité. Pour cette raison, j’ai voulu inscrire une expressivité réprimée et comme baveuse dans les matériaux de l’exposition.”
Les présences absentes
La principale évolution n’a pas lieu au niveau des formes mais de leur agencement. Ici, différents îlots occupent l’espace sans cependant se soucier d’une quelconque cohérence. “Pour l’exposition, j’ai travaillé assez rapidement, j’ai repris un atelier. J’étais assez critique par rapport à la production, au fait d’être dans un marché. En sculpture, on est d’emblée obligé d’aller vers la capture. Pour cette raison, j’ai dû inventer des systèmes. J’ai l’impression que ça fonctionne et que je parviens à rendre à tous ces sujets une vie correcte, c’est-à-dire qui ne les capture pas.”
Les présences absentes autour desquelles l’artiste modèle ses sculptures, ses canapés ramollis et ses masques sans visage, ont depuis cessé d’attendre. Elles ont fait de leur attitude non-productive une stratégie de résistance en soi. Représenter ces flux de colère et de misère, ce serait les réduire et en figer les possibles. En filigrane, il est également possible de lire, de la part de l’artiste, le rejet de l’impératif événementiel de l’exposition – faire neuf, faire image. Refuser les formes d’engagement classiques et le choix entre des alternatives prédéfinies sans cependant renoncer à exprimer son mécontentement : l’idée semble familière. Elle serait peut-être même ce qui aura le mieux défini les quatre années écoulées, marquées par les mouvements des places, et maintenant par la nébuleuse des Gilets jaunes. Ingrid Luquet-Gad
O’da’oldborin’gold Jusqu’au 16 février, galerie Chantal Crousel, Paris IIIe
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