Avec le culot d’oser une telle mise en scène par temps de pandémie, Gaëlle Hermant investit l’humour cruel d’Ivan Viripaev et nous donne rendez-vous à l’hôpital pour une drôle de danse avec la mort.
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Dans Archives du Nord, Marguerite Yourcenar use de la formulation désuète “Siva” pour désigner Shiva, l’une des principales déités de l’hindouisme, dont la danse est associée à la création et la destruction de l’univers. “A certaines époques, Siva danse sur le monde, abolissant les formes. Ce qui danse aujourd’hui sur le monde est la sottise, la violence, et l’avidité de l’homme.”
Faisant écho au constat de l’écrivaine, le dramaturge russe Ivan Viripaev réunit les deux propositions en une pour inventer la légende urbaine d’une chorégraphie de la consolation, leitmotiv de sa pièce Danse “Delhi”… soit l’invention d’un solo mythique, inspiré à l’une des protagonistes, danseuse du Ballet de l’Opéra, au retour d’un voyage en Inde suite à sa confrontation avec une humanité vivant dans une souffrance et une misère des plus extrêmes.
Sept courtes pièces, comme autant de variations
La performance fascine et obsède quiconque la découvre et fait dire à l’un de ses personnages : “Elle a commencé à transformer cette douleur en une danse sublime et à libérer toute cette douleur. Elle a créé une danse sublime et enchanteresse nommée ‘Delhi’.”
On a tous·tes vécu cette heure de vérité passée à se ronger les sangs dans la salle d’attente des urgences avant de savoir ce qu’il en est de l’avenir d’un être cher. Considérant ce lieu comme la frontière d’un passage vers l’au-delà, Ivan Viripaev pousse la cruauté jusqu’à composer une ronde macabre prétexte à mettre à l’épreuve chacun de ses personnages.
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Danse “Delhi” se divise en sept courtes pièces, comme autant de variations sur la manière de réagir à l’annonce de la mort d’un proche. Baume au cœur réputé infaillible, le rappel des effets cathartiques de la fameuse danse devient le motif d’un running gag qui infuse d’une ironie glaçante chacune de ces pièces.
Une gêne maintenue avec finesse
Les parois translucides des bureaux du personnel hospitalier s’éclairent des lumières aux couleurs changeantes d’une boîte de nuit et un ballet de chaises et de plantes vertes suffit à renouveler le décor.
Partagé·es entre le réalisme d’une situation dramatique qui impose la retenue et la mécanique d’une farce montant en puissance d’acte en acte, les spectateur·trices ne savent plus s’il faut rire ou pleurer.
Osant monter Danse “Delhi” en temps de pandémie, Gaëlle Hermant maintient cette gêne avec finesse en dirigeant ses acteur·trices comme une troupe d’équilibristes avançant sur le fil d’une incorrection purement jouissive. S’amuser du spectacle nous plonge dans un malaise bienvenu, en brisant le carcan moral d’une époque où le choix de se moquer de la mort relève presque de l’interdit.
Danse “Delhi” d’Ivan Viripaev, mise en scène Gaëlle Hermant, avec Christine Brücher, Manon Clavel, Jules Garreau, Lina Alsayed…La Criée-Théâtre national de Marseille et en tournée – dates à préciser
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