Krystian Lupa revient à son auteur fétiche avec “Des arbres à abattre”, un voyage aux tréfonds de l’âme du dramaturge autrichien mais aussi un manifeste sur l’état de l’art en Pologne.
Comme toujours chez Krystian Lupa, le rouge est mis dès qu’on pénètre dans la salle, via le tracé d’une ligne de lumière écarlate suivant le pourtour du cadre de scène et alertant sur les limites immatérielles d’une porte ouverte sur la fiction.
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Avec Des arbres à abattre, roman qui fit scandale en 1984, Thomas Bernhard débonde le trop-plein de sa détestation pour les représentants de la microsociété des artistes viennois avec lesquels il a coupé les ponts depuis plus de vingt ans. A la suite du suicide d’une amie artiste, Joana Thul, il croise à son enterrement deux figures de la coterie des happy few viennois, les époux Auersberger.
Monologue intérieur ininterrompu
Certain d’avoir fait “une erreur magistrale”, il accepte leur invitation à un “dîner artistique” où le convive de marque est un comédien du Burgtheater qui doit les rejoindre à l’issue de la première du Canard sauvage d’Ibsen dont il interprète le rôle principal. Bernhard retranscrit dans son roman le flot de pensées qui lui viennent à l’esprit, calé au fond du “fauteuil à oreilles” qui fut le sien quand il partageait avec eux les soirées de sa jeunesse : un monologue intérieur ininterrompu où l’ironie des commentaires sur les propos de chacun se mêle à la plus tendre des émotions dans la résurgence des souvenirs intimes de sa complicité avec la défunte.
Sur la durée de ses 4 heures 20 avec entracte, le projet de Krystian Lupa use du théâtre et de la vidéo pour nous faire littéralement entrer dans la tête de Thomas Bernhard. Reprenant à son compte les critiques de son auteur pour cibler le monde artistique polonais, Lupa actualise le procès à charge mais, là où il se fait magicien et nous émeut au plus haut point, c’est dans la maîtrise d’un temps théâtral qui, chez lui, est proche de l’envoûtement.
Séance de spiritisme
Bien au-delà d’une simple retranscription des faits rapportés par le roman, la pièce s’autorise le décryptage de ses zones d’ombre et le metteur en scène use sans limites de sa liberté. Réincarnant Joana Thul, il transforme son théâtre en une séance de spiritisme qui nourrit de ses hallucinations les émotions vécues par Bernhard.
Avec une première partie s’apparentant à des conversations après un enterrement et une seconde qui tient de la veillée funèbre, comment imaginer les réactions d’un public qui n’arrête pas de rire ? “L’ironie de Bernhard est aussi radicale qu’extrême, précise Krystian Lupa. Le rire n’exclut pas l’émotion. Autrefois, dans les tragédies, ce sont les pleurs qui cristallisaient les effets du rôle purificateur de la catharsis. On retrouve cette idée chez Bernhard avec le rire.”
merci à Mariola Odzimkowska pour la traduction
Wycinka Holzfällen (Des arbres à abattre) d’après Thomas Bernhard, adaptation, mise en scène, scénographie et lumière Krystian Lupa, en polonais surtitré en français, jusqu’au 8 juillet au Festival d’Avignon (la Fabrica), festival-avignon.com
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