Depuis leur rencontre au début des années 1990, Mié Coquempot et Daniel Larrieu partagent curiosité chorégraphique et recherche poétique. Alors qu’ils présentent chacun leur nouvelle création à June Events, retour sur un compagnonnage productif et sensible, symbole du dialogue générationnel instauré par le festival.
Mié Coquempot, vous ouvrez le festival avec 1080 – Art de la fugue. Daniel Larrieu, vous le clôturez avec votre nouvelle création, Littéral. Vous vous connaissez bien, vous avez travaillé longtemps ensemble. Qu’est-ce qui vous lie ?
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Daniel Larrieu – Il y a un certain temps maintenant, je jette un coup d’œil par l’entrebâillement d’une porte dans un cours de danse et je vois quelqu’un. D’une manière très singulière, je me dis : je veux savoir qui est cette personne. Pour des raisons très indéfinissables… C’est ainsi que nous nous sommes rencontrés…
Mié Coquempot – C’était un cours de Peter Goss, pour lequel j’étais interprète à l’époque. Daniel a demandé mon numéro de téléphone et m’a appelée, je pensais que l’on me faisait une blague. Je connaissais son travail que j’avais vu à Avignon et à La Ferme du Buisson. Il me touchait beaucoup. Il m’a donné rendez-vous et nous nous sommes retrouvés à Chaillot, où il participait au Bal moderne. Il m’a fait parler, m’a demandé ce que j’aimais et je lui ai répondu : cuisiner la blanquette de veau !
Daniel Larrieu – Nous avons commencé assez vite à travailler ensemble. C’était en juillet 1993, je venais d’apprendre que j’allais diriger le Centre chorégraphique national de Tours, et j’imaginais réunir une équipe pour commencer cette nouvelle histoire et mener un travail de constitution de ce que l’on pourrait appeler aujourd’hui un répertoire, une matière à traverser. Il y a quelque chose d’assez mystérieux entre nous en ce qui concerne le travail, qui ne s’éteint pas… Mié était interprète à l’époque, mais, à Tours, elle a très vite commencé à devenir auteure. Je me sens guidé par des gens dont je ne comprends pas tout…
Ce qui vous lie, est-ce donc ce qui vous échappe ?
Mié Coquempot – Oui, ce qui nous échappe, nous sensibilise et nous fascine. Je peux d’autant plus décrypter le travail de Daniel en ayant été son interprète, notamment dans de nombreuses reprises de pièces existantes. J’ai eu accès à un savoir dur, solide, sur son travail d’auteur, mais il y a toute une dimension presque spirituelle, en tout cas incroyablement sensible, qui m’émeut immédiatement dans son geste, au-delà de toute l’intelligence de l’écriture de ses chorégraphies. Quelque chose que j’avais déjà ressenti en voyant Gravures à Montpellier avant même de le rencontrer. Dans la pratique ensuite, j’ai aimé sa qualité de transmission et son attention. Il anticipait beaucoup sur ma propre trajectoire d’interprète. Tout cela a déposé son écriture profondément en moi. J’avais 23 ans, pour moi la chorégraphie était l’écriture du mouvement dansé. Avec Daniel qui porte une grande attention à la musique, à la scénographie, et à toute la recherche bibliographique et filmographique qui accompagne ses créations, j’ai découvert le déploiement chorégraphique. Il a ouvert les portes de la bibliothèque !
Daniel Larrieu – Mié avait déjà des compétences que je n’avais pas. Par exemple, mon rapport à la musique est important et intuitif, mais je ne sais pas la lire et je n’en joue pas, contrairement à elle. Je suis toujours fasciné par cette capacité qui m’a sauvé de situations inextricables. En tant que praticien de la danse, un peu sauvage, ne venant pas de cette culture musicale et chorégraphique, des gens comme Mié deviennent des piliers dans le travail, notamment en te disant comment compter une pièce de John Adams – cela demeure énigmatique pour moi… Même si aujourd’hui elle s’attaque à Bach pour la première fois, Mié a cette singularité de travailler avec des compositeurs contemporains, vivants si possible, toujours dans cette manière particulière d’aborder la musique par sa structure. Ce n’est pas si courant et demande une intelligence abstraite que de savoir aborder la structure, l’architecture, de la danse et de la musique.
https://vimeo.com/202988559
Mié, est-ce que vous sauriez me dire ce qui, dans cette bibliothèque qui s’est ouverte à vous en travaillant à Tours avec Daniel, fait encore trace dans votre travail ?
Mié Coquempot – Dans ma formation, j’avais fait du ballet, du jazz, de la danse traditionnelle japonaise. Des pratiques conduites et contrôlées où la restitution d’une forme est très déterminée. Peter Goss travaillait sur le flux et l’organique, nous étions concentrés sur la manière de se mouvoir le plus simplement et le plus amplement possible. J’avais besoin de perdre cette chair-là. Je suis arrivée comme un squelette chez Daniel et j’ai dû apprendre à me réapproprier la forme, de manière très exigeante. Recréer un nouveau rapport à la gravité, me reverticaliser. De fait, je dirais que mon écriture aujourd’hui est tendue entre ces pôles qui m’ont construite.
Et vous Daniel ?
Daniel Larrieu – L’expérience japonaise de Mié a été un axe fort et m’a permis de décaler ma manière de penser le monde en termes esthétiques. Mié a beaucoup partagé de textes avec moi, des traités sur le théâtre nô notamment, sur l’idée de la fleur, le moment de la floraison… En partageant ce savoir-là, elle faisait surgir dans ma tête de nouvelles visions n’ayant rien à voir avec la pensée occidentale de l’art. De là, j’ai construit une pensée non perspectiviste, qui n’est pas dans le point de fuite, comme dans le ballet classique où tout doit être embrassé d’un seul point de vue. On pense à l’aide de systèmes, mais on a le droit de se décaler à l’intérieur du système pour voir comment cela éclaire différemment le travail en termes de construction et de relation au public.
Mié Coquempot – Effectivement, je pense à Eloge de l’ombre de Junichirô Tanizaki, où il décrit l’esthétique de la maison au Japon, basée sur l’occultation afin de se préserver de la chaleur mais aussi de la lumière et ainsi mieux révéler d’autres choses. Il y a aussi La Tradition secrète du nô de Zeami, dans lequel il explique que l’on est bouleversé par un acteur car quelque chose a surgi de lui, et ce qui nous touche profondément Daniel et moi, c’est que c’est sur les acteurs les plus âgés que l’on trouve les plus belles fleurs. Elles sont rares, mais elles sont les plus belles.
Daniel Larrieu – Alors peut-être que ce qui nous lie est aussi de l’ordre de la recherche poétique, de la condition de l’apparition et de la beauté qui ne soit pas menée par le désir de la captation, de la possession ou de la domination. Il y a des rencontres qui irriguent. Je ne sais pas quand je rencontre Mié tout ce qu’elle va faire de sa vie, mais je m’en doute un peu… Jusque dans certaines correspondances étranges : sans que nous nous soyons concertés et bien que nos esthétiques soient très différentes, il y a dans chacun de nos spectacles présentés cette année à June Events la même danseuse, Léa, et elle porte quasiment le même costume ! C’est un dialogue qui continue…
Mié Coquempot – Nous partageons les mêmes intuitions et les mêmes émerveillements. Et nous sommes des artistes du mouvement qui aimons partager le plaisir du mouvement… Nous sommes tous les deux artisans. Il aime tricoter et moi j’aime coudre !
propos recueillis par Hervé Pons
1080 – Art de la fugue de Mié Coquempot, les 1er et 2 juin à 21 h, Théâtre de l’Aquarium, Paris XIIe Littéral de Daniel Larrieu, le 17 juin à 21 h, Théâtre de l’Aquarium, Paris XIIe
June Events, le festival de danse du CDC Atelier de Paris du 1er au 17 juin 2017
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