Avec sa double casquette – artiste au pavillon danois et curator à la Pointe de la Douane –, Danh Vo pratique l’art de la (haute) couture. Avec un maillage bien senti d’œuvres démembrées ou déracinées.
C’est sous le signe du malentendu, (l’exposition s’intitule Slip of the Tongue, “lapsus” en français) que l’artiste Danh Vo a placé son exposition à la Pointe de la Douane. Pas tout à fait une expo collective tant les œuvres des artistes qu’il réunit ici, de Rodin à Paul Thek en passant par Nancy Spero, Hubert Duprat ou Lee Lozano, semblent appartenir à une même famille – la sienne.
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Pas non plus une expo sacrilège, même si ce qu’il met ici en jeu ressemble fort à une descente de piédestal d’œuvres désolidarisées de leur contexte de production, mais aussi parfois, plus littéralement, de leur socle ou de leur cimaise. L’accrochage érudit de Danh Vo est un clin d’œil au morphing permanent du champ de l’art, à son élasticité et à sa capacité à disséquer ou ressusciter les œuvres qu’il génère.
Artiste et curateur
Invité à représenter le Danemark au cœur des Giardini, dans un pavillon entièrement dépouillé où seuls les murs peints d’un rouge royal servent de caisse de résonance à d’autres caisses et œuvres remisées, ou sur le départ, (torse d’Apollon logé dans son caisson de bois, vierge en bois décapitée du XIVe siècle montée sur un sarcophage en marbre), l’artiste s’invente à la Pointe de la Douane un autre rôle : celui du commissaire.
Curator serait plus juste, estime de son côté la critique d’art Elisabeth Lebovici qui, dans le livret de l’exposition, fait coïncider l’art du curator avec la philosophie du care : “Le curator, c’est d’abord celui ou celle qui prend soin de ce qui arrive aux objets une fois fabriqués (…). Les vicissitudes de la conservation, de la circulation, du commerce, du démembrement et de la dispersion, du rafistolage et de la restauration, de la collection et de la monstration ne concernent pas seulement le bien-être des œuvres d’art. Elles participent aussi pleinement de leur histoire, faite de transitions, parfois de ruptures ou de destruction.”
Voir les choses autrement
Pas un hasard donc si la plupart des œuvres choisies par Danh Vo sont littéralement mises à terre, terrassées par l’effet de “relecture” que leur impose toute nouvelle exposition, mais jamais totalement écrasées par le discours surplombant du maître d’œuvre. De discours d’ailleurs, il n’en existe pas vraiment dans cette expo magistrale qui mise plutôt sur le dialogue entre les pièces et des points de bascule qui (nous) font voir les choses autrement.
Cette danseuse de Rodin, par exemple : posée au sol, les jambes écartées, elle devient l’indice d’une scène de viol. L’installation miniaturiste de Paul Thek invite, elle, “à voir” à hauteur d’enfant, tandis qu’il faut tordre le cou pour saisir le “tête à cul” suspendu de Jean-Luc Moulène qui signe par ailleurs deux hybrides mutiques à partir de sculptures de jardin en ciment.
L’histoire personnelle se conjugue avec la grande histoire
Le démembrement est au cœur de cette exposition, qui donne à voir une figure de bronze désarticulée (signée Danh Vo et posée au sol) et quantité de pièces déracinées : à l’image des sculptures horizontales de Nairy Baghramian, initialement conçues pour s’adapter à l’architecture de l’Art Institute de Chicago, ou du panneau arraché de David Hammons, indiquant Central Park West.
Il serait alors aisé d’aller chercher des explications dans la biographie de Danh Vo, boat people ayant fui le Vietnam avec sa famille à la fin des années 70, avant d’être recueilli par un cargo danois. Mais cela ne suffirait pas, tant chez le vorace Danh Vo, l’histoire personnelle se conjugue avec la grande histoire.
Slip of the Tongue jusqu’au 31 décembre à la Pointe de la Douane, et Danh Vo au pavillon danois
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