En cinq ans à peine dans le monde de l’art, Cyprien Gaillard s’est imposé parmi les artistes phares de la jeune scène internationale. Portrait d’une bombe explosive, lauréat du Prix Marcel Duchamp 2010.
Réalisée en 2004, cette série des « Real Remnants of Fictive war » rappelait encore les images du 11 septembre, et la fumée épaisse des tours effondrées envahissant Manhattan, mais elle précéda aussi de peu les émeutes de 2005 dans Paris et sa banlieue.
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Retour de l’histoire, poétique de l’émeute : des signes qui ne trompent pas. Mais la vraie bombe, ce fut le film « Desniansky Raion« , daté de 2007 et montré depuis partout dans le monde. Une vidéo magistrale, en trois parties, survolée par une musique composée par un Koudlam alors complètement inconnu et dans lequel Cyprien Gaillard a vu l’équivalent sonore de son travail plastique.
D’entrée de jeu, le premier tableau est sidérant de violence, et montre une vidéo-pirate trouvée par l’artiste : dans une dure banlieue de Russie ou d’Ukraine, deux armées de hooligans, les bleus contre les rouges, se font face et soudain se ruent l’une sur l’autre, se foutent sur la gueule dans une baston effroyable.
Deuxième volet : un spectacle son et lumière se déroule sur une barre HLM vouée à la démolition et qui s’affaisse bientôt dans un nuage de fumée. Dernier volet, magnifique plan large et aérien : le survol de la banlieue de Kiev et de ses architectures brutales, austères, témoins et déjà ruines du communisme soviétique.
Bref, vous n’avez pas encore fini d’en voir avec Cyprien Gaillard. Et c’est ce qu’ont dû se dire l’an dernier les habitants d’un quartier en rénovation de La Haye, en Hollande, quand ce jeune archéologue de la ruine a excavé et fait sortir de dessous terre un bunker allemand de la seconde guerre allemand que la mairie et ses paysagistes avaient caché sous une soit-disant colline verte.
« Partout c’est la même politique, s’emporte-t-il : on détruit des architectures sérieuses pour rénover les quartiers devenus insalubres. A Glasgow, on démolit des immeubles historiques pour construire un village olympique. On accuse les vieux bâtiments d’être désuets, mais en vérité les nouveaux immeubles sont beaucoup moins durables, ils sont même obsolètes avant même d’être finis. »
En retour, ses actions vandales, ses lancers d’extincteurs dans la forêt, toute sa poétique de la ruine sonnent donc comme la réponse d’un artiste à une politique faussée de la ville, à un vandalisme d’état qui ne dit pas son nom.
Car la grande affaire de Cyprien Gaillard aujourd’hui, c’est justement de commémorer ces architectures dépéries :
« Je vais à Manchester à la fin du mois de novembre, pour construire une sculpture publique. C’est ce que j’aimerais faire le plus intensément aujourd’hui et dans les années à venir. C’est un monument pour deux immeubles historiques, moitié-béton, moitié-brique, faits avec les gravats de l’immeuble HULME et de l’église de Moss-side, tous deux emblématiques de l’ancien Manchester, cette cité ouvrière qui fut aussi la ville de Joy Division, New Order et de la Hacienda. Tout a été rasé, on est passé d’une ville de production à une ville de consommation, avec des immeubles post-postmodernes et de grandes rues piétonnes. La ville est ignoble, mais les gens sont magnifiques, et ils ont beau faire, ce n’est pas l’architecture qui fait la ville, c’est la population. »
A Glasgow, à Manchester, à Berlin où il vit, au château de Oiron où il a déversé dans le parc les gravats d’une tour de banlieue parisienne, à Moscou où il voudrait acheter pour mieux le préserver son plus beau terrain vague du monde, Cyprien Gaillard entreprend cette folie romantique de construire avec tout cela un immense parc de ruines, disséminé partout dans le monde. « J’en ai facile pour dix ans. C’est un travail colossal. »
Jean-Max Colard
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