Star montante de l’art contemporain, archéologue du présent, exégète de la ruine et vandale revendiqué, le jeune artiste français s’incruste à Beaubourg.
Sur le bureau de mon ordinateur, j’ai rassemblé plusieurs portraits de Cyprien Gaillard. A l’écran, la mosaïque d’images compose une figure aventureuse, ultramobile, presque héroïque de cet artiste âgé de 30 ans tout juste, qui s’est imposé à Paris, New York ou Berlin comme l’une des figures majeures de la nouvelle génération.
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Portrait de l’artiste en ruine
Il y a d’abord de nombreux portraits en plan panoramique large, format paysage, où Cyprien Gaillard, avec sa belle gueule d’ange, apparaît sur fond d’architectures immenses : au pied d’une double tour en béton héritée de l’Union soviétique, devant le temple en ruine d’Angkor Vat au Cambodge ou face à la barre Balzac de la cité des Quatre Mille à La Courneuve peu avant sa destruction en juillet 2010. Fasciné par le spectacle des ruines, qu’elles soient ancestrales ou modernes, l’artiste est l’auteur d’une oeuvre émergente mais déjà puissante, d’une profondeur de champ sans équivalent chez ses contemporains et qui proclame, à égalité avec les sites antiques, le sublime des architectures modernes les plus disqualifiées.
C’est ainsi qu’il va d’un bout à l’autre du monde pour filmer ou photographier au Polaroid les ruines les plus fameuses mais aussi les réalités déclassées du monde contemporain : terrains vagues de Moscou, banlieues à risques de Paris ou Glasgow, villes nouvelles de Saint-Quentin-en-Yvelines ou Montfermeil, boîtes de nuit de Beyrouth. Autant de non-lieux dont il affirme personnellement la beauté radieuse et qu’il juxtapose dans ses oeuvres filmiques ou photographiques aux pyramides d’Egypte, aux sites aztèques du Mexique ou à l’Acropole d’Athènes.
Au gré d’une pensée analogique et d’une imagination, on l’aura compris, toute poétique :
“Il n’y a pour moi aucune hiérarchie entre ces différentes ruines et j’essaie de faire partager cette vision, de mettre ensemble des éléments anachroniques et d’ordinaire très séparés.”
A Beaubourg, il juxtaposera par exemple une grande plaque en marbre fossile de Tunisie et une paroi du Forum des Halles oxydée par la pluie, la pollution et la pisse. “Je recherche comme ça à redistribuer la réalité, à composer des moments d’équilibre parfait dans le chaos.”
Portrait de l’artiste en Berliner
D’autres photos postées sur mon ordinateur montrent aussi son visage en plan rapproché, le regard intense. Dans son appartement de Berlin, il apparaît concentré devant son “mur de références” où s’affichent quantités de documents: : photos d’oeuvres, de sites, d’architectures modernes, antiques ou militaires. L’image de presse d’un pont effrondré à Tacoma, aux Etats-Unis, croise une page de Libération montrant les monuments érigés à la gloire du dictateur Kadhafi et vandalisés par les insurgés libyens.
“Ce n’est pas un atelier ici, commente-t-il alors qu’on lui rend visite, je n’en ai pas, mais un lieu de réflexion, de documentation, où je puise une part de mes inspirations, où je procède à de nouvelles analogies.”
Dans un vieux meuble, l’artiste aligne une collection de fossiles, deux petits débris de vases ramenés illicitement d’Irak, un bloc d’amiante inerte, un fragment de météorite qui garde encore une puissante odeur de brûlé de son entrée dans la stratosphère.
Invité à Berlin par le prestigieux programme de résidence du Daad, l’office allemand d’échanges universitaires, où sont déjà passés Olafur Eliasson, Nan Goldin ou Pierre Huyghe, Cyprien Gaillard s’y est finalement installé. “Je ne me sens pas à l’aise avec cette question d’habiter quelque part, ça ne se pose pas en ces termes pour moi. Je suis le plus souvent en déplacement : je serai ainsi en résidence à Los Angeles à partir de novembre prochain, avec le Hammer Museum et l’UCLA. En réalité, je ne suis attaché à aucune ville. Cela dit, Berlin n’est pas une ville stressée. Il n’y a pas de rush hour comme à Paris ou Londres. Le temps y est comme suspendu. Et comme je ne parle toujours pas l’allemand, je suis complètement insensible à la radio, aux publicités, à tout ce que balancent les médias toute la journée. Je vis ici comme dans une bulle.”
Dans le salon impeccablement rangé, il sort de la bibliothèque une dizaine de livres de référence : histoire du vandalisme, de l’architecture militaire, de l’ornementation, atlas colonial, numéros spéciaux de la revue National Geographic, plus toute une série de pamphlets contre l’architecture moderne – contre les églises contemporaines, contre le fiasco des architectes, contre les “erreurs monumentales” du modernisme.
“J’aime ces livres qui attaquent : voilà au moins des gens énervés par leur environnement et qui réagissent. Mais évidemment je ne partage pas leur dégoût. Beaucoup de gens trouvent ces architectures horribles et inhumaines ; mais cette part d’erreur me donne justement le sentiment aigu de leur humanité.”
Portrait de l’artiste en vandale
D’autres images sont plus indécises : on croit l’apercevoir parmi des fumigènes et une foule de raveurs encagoulés. De fait, Cyprien Gaillard s’est d’abord fait connaître par des gestes de vandale, quand il organisait avec une bande d’amis des lâchers d’extincteurs en pleine nature ou quand il dévastait le parc de Vassivière, transformant le vernissage de son exposition en une free-party sauvage avec la participation active du musicien Koudlam. Filmées en plan fixe dans une série de vidéos intitulées Real Remnants of Fictive Wars, ces nappes de brouillard qui s’étendent dans la campagne limousine revisitent l’art du paysage. Elles ressemblent à la version vandale et urbaine du land art et évoquent inévitablement le souvenir du 11 Septembre.
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