Une soixantaine de salles sont désormais investies par des intermittents, des étudiants et des précaires. De premières actions coordonnées devraient voir le jour d’ici la semaine prochaine.
Mercredi 17 mars 2021, à 18 heures, 58 théâtres et lieux culturels étaient occupés dans toute la France. D’ici la fin de cet article, ce chiffre aura certainement augmenté. Sur Internet, des cartes de France sont régulièrement mises à jour ; on y voit apparaître, en temps réel, comme sur un plan de bataille, les dernières salles investies : l’Opéra de Rennes, la Criée à Marseille, Le Grand théâtre de Bordeaux… Des Centres dramatiques nationaux (CDN), des scènes nationales, des lieux indépendants… Selon l’expression consacrée, le mouvement parti du théâtre de l’Odéon, le 4 mars dernier, est en train de faire tâche d’huile. Et l’annonce d’un nouveau confinement ne risque pas d’y changer grand chose.
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“Nous resterons confinés à l’intérieur des lieux le week-end s’il le faut”, lance depuis le théâtre parisien Samuel Churin, membre de la Coordination des intermittents et des précaires. “De toute façon, il ne s’agit pas d’une occupation mais d’une ‘habitation’, nous explique Ivan Marquès, 27 ans, étudiant à l’école supérieure d’art dramatique du Théâtre National de Strasbourg, qui occupe le CDN du Grand Est depuis plus d’une semaine. J’aimerais quand même rappeler que c’est le gouvernement qui bloque les théâtres, pas nous. Nous, nous continuons à travailler, à suivre nos cours, en plus des actions politiques menées quotidiennement… Nous nous servons de notre outil de travail, pour faire connaître nos inquiétudes, mais aussi nos aspirations et nos revendications.”
Des actions coordonnées qui se précisent
La réouverture des lieux de culture, qui fédérait le mouvement en début de mois, n’est pas l’unique revendication des occupants. “C’est un piège, martèle Samuel Churin. La réouverture ne signifie en aucune façon la reprise de l’activité. Ils peuvent très bien nous dire ‘parfait, on vous a entendu : on rouvre les salles en avril, maintenant calmez-vous et sortez de-là.’ Mais si, par exemple, le couvre-feu est maintenu à 18 heures et qu’ils reconfinent le week-end, on ne pourra pas jouer… (entre temps, le Premier ministre a annoncé de nouvelles mesures dans 16 départements et ce pour quatre semaines, lesquelles consistent en une nouvelle forme de confinement, ndlr) Par ailleurs, une réouverture ne résoudrait rien pour les musiciens, puisque les festivals d’été s’annulent les uns après les autres, et que pour bon nombre d’entre-eux, la reprise est liée à la reprise des bars.”
L’heure est à la concertation : depuis les différents théâtres occupés, les étudiants en discutent via Skype. Des actions coordonnées dans toute la France devraient avoir lieu dès la semaine prochaine. De leur côté, les directeurs de salles n’ont pas attendu le gouvernement pour organiser au théâtre du Rond-Point, à Paris, une conférence intitulée “Assemblée des théâtres, pour une réouverture urgente des lieux de culture” qui aura lieu le 25 mars prochain. L’objectif : prévoir les conditions sanitaires de la réouverture, en faisant le point sur les dernières études scientifiques en présence de médecins. Sont attendus le chef du service des maladies infectieuses de l’Hôpital de la Pitié Salpêtrière Eric Caumes, l’urgentiste Patrick Pelloux, et plus d’une centaine de directeurs de lieux culturels.
Une jeunesse qui se fait enfin entendre
Pour les étudiants d’art dramatique, leur jeunesse est une façon de dépasser les arguments corporatistes. “Pour nous, c’est un vraiment la double peine, explique Ivan Marquès. Nous sommes de futurs intermittents du spectacle, prévus à un avenir professionnel calamiteux à cause des conséquences du Covid-19 et des réformes gouvernementales, et, en même temps, nous avons la vingtaine, donc nous sommes frappés de plein fouet dans notre chair par les mesures de restrictions en tout genre.” L’argument est entendu au théâtre de la Colline à Paris, à la Criée à Marseille, ou encore au TNS à Strasbourg. “Il nous importe de témoigner de la détresse de nos amis étudiants dans d’autres disciplines, qui, contrairement à nous, ne peuvent parfois même pas travailler ensemble.” A côté d’eux, les directeurs de lieux occupés – ou habités – encouragent, conseillent, informent et encadrent parfois. “Leurs revendications sont parfaitement légitimes, commente Macha Makeïeff, directrice de la Criée, occupé depuis le début de semaine. Politiquement, je les trouve au bon endroit, entre revendications précises et pragmatiques et un désir manifeste d’utopie. Je les écoute. Et j’essaie de fortifier leur élan.” Même son de cloche à la direction de Strasbourg. “Ils contredisent ceux qui ne cessent de déplorer que les jeunes n’ont plus d’aspiration politique et je m’en réjouis, sourit Stanislas Nordey. Pour bon nombre d’entre-eux, il s’agit de leur toute première mobilisation et je les trouve d’une étonnante maturité politique. Ils se demandent comment on sort d’une telle mobilisation, comment on fait converger des luttes…”
Des questions qui restent en suspens
Evidemment, l’évolution du mouvement reste à ce jour incertaine. Les confinements et les mesures restrictives sont imprédictibles. La stratégie du gouvernement pour la culture est incompréhensible. Et l’évolution de la pandémie, elle, reste imprévisible. “Je ne me risquerais pas à jouer les madame Irma, conclut Stanislas Nordey. Le mouvement peut prendre. Ou pas. Au regard des forces en présence, c’est David contre Goliath mais historiquement, la jeunesse a toujours fait peur aux gouvernements.” En attendant, depuis le début de cet article, deux nouvelles salles viennent de se rajouter à la liste des lieux occupés (le nouveau théâtre de Montreuil et le théâtre de Laval). A suivre, donc…
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