Comme un coup de tonnerre, l’annonce de l’instauration d’un couvre-feu dans toute l’Ile-de-France ainsi que dans huit métropoles par Emmanuel Macron, le 14 octobre, met à nouveau un coup d’arrêt au spectacle vivant. Premières réactions.
“Une injustice folle”, pour Jean-Christophe Meurisse des Chiens de Navarre, “la super claque” pour l’acteur Samuel Churin, membre de la coordination des intermittents et des précaires. Le couvre-feu de 21h à 6h décrété mercredi 14 octobre par le Président Macron dans toute l’Ile-de-France mais aussi dans huit métropoles (Lille, Grenoble, Lyon, Aix-Marseille, Montpellier, Rouen, Toulouse et Saint-Etienne), met à mal un secteur qui se relève à peine du long confinement vécu pendant un semestre. Et se révèle incompréhensible puisque le ministère de la Culture l’assure haut et fort : aucun cluster n’a été découvert dans les théâtres depuis la rentrée. Et pour cause, comme pour les restaurants, les gens sont prévenus des cas contacts quand il y en a. Ce qui est loin d’être le cas quand on s’entasse dans le métro, le RER ou le train. Dans le communiqué envoyé ce 15 octobre au matin par le ministère de la Culture, Roselyne Bachelot le réaffirme : “Je tiens par ailleurs à saluer l’engagement et la responsabilité des professionnels pour assurer la sécurité du public dans les salles de spectacles et de cinéma, grâce à des protocoles sanitaires stricts, scrupuleusement respectés par les spectateurs.” Si bien qu’on se demande quels vont bien pouvoir être “les dispositifs d’accompagnement indispensables aux secteurs du spectacle vivant et du cinéma, particulièrement affectés par le couvre-feu” sur lesquels elle va travailler avec les organisations représentatives dès ce jeudi 15 octobre.
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Le choix de cibler certains secteurs économiques pour en préserver d’autres relève de la responsabilité du gouvernement. Mais devra-t-il en rendre compte ? “Je suis estomaqué car il faudra quand même qu’on nous prouve, preuves scientifiques à l’appui, que des clusters se créent au théâtre, assène Jean-Christophe Meurisse. Ce couvre-feu n’a aucune légitimité. On ne nous demande que de bosser ? Alors, résistons, allons bosser le matin puis quittons le travail à 16 h pour aller au cinéma ou au restaurant puis au théâtre.”
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“C’est une situation kafkaïenne”
L’exception française reste de mise, c’est le moins qu’on puisse dire. Pourquoi décider d’un couvre-feu à 21 h plutôt qu’à 23 h, comme en Allemagne ? “Je n’en peux plus de cette politique réactive, ne décolère pas Samuel Churin. Ce qui est sûr, c’est que pour blesser très fortement, voire mortellement, le spectacle vivant, il n’y a pas mieux. L’Allemagne, la Suède ou la Suisse procèdent autrement. J’ai joué récemment en Suisse et ils sont atterrés de la façon dont le Covid est géré en France. Diriger, c’est prévoir et cette deuxième vague était attendue. Je suis en lien avec le collectif Inter-Urgences, qui réunit des aides-soignant·es, des infirmier·es et des médecins et ils sont en rage. Lorsque Roselyne Bachelot était ministre de la santé, elle a privatisé l’hôpital et depuis, le nombre de lits ne cesse de baisser, les soignants travaillent à flux tendu. C’est cette ligne rouge du nombre maximum de patients qu’on peut accueillir qui provoque le couvre-feu. Le collectif pensait qu’Olivier Véran allait multiplier par deux le nombre de lits possibles en prévision de la deuxième vague de Covid. Rien n’a été fait. C’est une situation kafkaïenne.”
Si ce couvre-feu qui s’attaque à la vie culturelle et sociale de plusieurs villes du pays a tout l’air d’un cautère sur une jambe de bois, plusieurs théâtres réagissent au quart de tour. “Avec le directeur des Bouffes du Nord, à Paris, on a décidé hier soir d’avancer les représentations de notre performance, La Peste c’est Camus mais la grippe est-ce Pagnol ?, qui doit commencer le 16 octobre à 19h au lieu de 20h30”, annonce Jean-Christophe Meurisse. Le spectacle durant une heure, le public pourra le voir et rentrer à temps chez lui. Le site des Bouffes du Nord alerte dès ce jeudi de ce changement d’horaire.
Au théâtre de la Colline (Paris) aussi, où se joue Mes Frères de Pascal Rambert mis en scène par Arthur Nauzyciel jusqu’à la fin de la semaine prochaine, la décision d’avancer la représentation à 17h est en train de s’organiser. “On a appris la nouvelle juste avant de jouer hier soir, c’est tellement triste, nous dit Arthur Nauzyciel. Les représentations sont un peu étranges, on est à la fois sur le plateau et un peu ailleurs, absorbés par nos interrogations sur ce qu’on va vivre les jours prochains. C’est quand même incroyable que ça ne pose pas de problème de forcer les gens à travailler la journée et de nous enlever tout ce qui nous permet de nous échapper, la culture, le fait de retrouver ses amis. Surtout, ce n’est pas lisible pour nous puisque les théâtres sont les lieux les plus sûrs. On joue déjà devant des demi-jauges ! On nous met à genoux mais on ne lâchera rien. On veut jouer, coûte que coûte, et soutenir tous ceux qui font en sorte que le spectacle reste vivant.”
Contacté mercredi 14 octobre au soir, Emmanuel Demarcy-Mota, directeur du festival d’Automne (avec 50 spectacles programmés) à Paris et du théâtre de la Ville s’apprête à discuter avec les “40 lieux partenaires en Ile-de-France pour discuter de la circulation des publics en soutien avec l’éducation et la santé comme priorité. Pour le théâtre de la Ville, nous sommes à peu près calés avec des représentations à 18h-18h30 qui se terminent à 20h. Evidemment, décaler le couvre-feu à 22h aurait facilité les choses. Comme beaucoup de directeurs de théâtre me téléphonent depuis l’annonce de Macron en demandant des dérogations, je vais préparer une réunion avec tous ceux qui le souhaitent pour échanger et faire des propositions concrètes pour faire un texte commun.” A suivre…
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