A Nice, Cosmogonies présente les traces sensibles de la confrontation entre art et nature. Une expo remarquable qui va d’Yves Klein à Tomas Saraceno, du land art à Hicham Berrada.
S’ils peinent à trouver une quelconque traduction dans le champ politique, les débats qui agitent aujourd’hui les penseurs autour de l’anthropocène et de la question écologique trouvent dans le champ de l’art un prolongement fécond. Avant même que les philosophes ne s’y intéressent de près, les artistes, dès le début des années 1960, ont porté leur attention sur les éléments naturels et sur les dérèglements climatiques à l’âge de l’hyper-capitalisme destructeur.
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L’exposition, tellurique et cosmique, du Mamac, Cosmogonies, au gré des éléments, proposée par sa brillante directrice Hélène Guenin, sensible depuis des années à la manière dont les artistes s’emparent des enjeux écologiques, en fournit une illustration édifiante. Partant de l’une des œuvres fétiches de la collection du musée niçois – les Cosmogonies d’Yves Klein –, l’exposition célèbre intelligemment la façon dont la nature affecte l’art, en mêlant à la fois plusieurs générations d’artistes et diverses approches esthétiques (land art, arte povera, art environnemental contemporain…).
Tous des grands enfants d’Yves Klein
D’Anthony McCall à Tomas Saraceno, d’Andy Goldsworthy à Hicham Berrada, de Barbara et Michael Leisgen à Charlotte Charbonnel, de Gina Pane à Thu-Van Tran, de Judy Chicago à Davide Balula, de Hans Haacke à Michel Blazy, cette cartographie foisonnante saisit, au-delà même du land art séminal, la volonté persistante des artistes de “convoquer les éléments, capter les liens invisibles qui unissent les composantes de l’univers, saisir les processus d’érosion, d’empreinte, de cristallisation, révéler la brûlure du soleil”, comme le souligne Hélène Guenin. La confrontation, fondue dans un entrelacement, de la génération des années 1960-1970 à celle des années 2000, prouve une certaine continuité des formes et des attitudes face à la nature. Comme si tous les artistes présents étaient tous des grands enfants d’Yves Klein.
Car dès 1960, ce dernier chercha à capter les “états-moments de la nature”, après avoir exploré le bleu illimité, expérimenté la puissance créatrice du feu et saisi l’empreinte de la chair avec ses célèbres anthropométries ; pour ce faire, l’artiste fit appel à l’action des éléments, des forces atmosphériques et des végétaux sur ses toiles (laissées sur le toit de sa voiture, soumises au vent, à la pluie…, elles se transformaient, comme un fruit du hasard climatique). C’est cette connivence du monde artistique et du règne naturel que traduit le parcours de l’exposition, alerte et aéré, précis et surprenant, où chaque œuvre dessine à sa manière “une ode à l’impermanence, à l’éphémère et à l’émergence de formes ‘assistées’ par la nature”.
L’art se situe ici en connexion avec la nature, dans un désir de réconciliation avec elle
Accueilli par le visage de Marina Abramovic, abandonné au flux et reflux des vagues sur une plage de Stromboli, et par Anthony McCall, filmant des paysages de campagne animés par le feu et par le vent, soufflant dans des draps blancs (sublime film, Landscape for White Square, 1972), le visiteur est en osmose avec les éléments cosmiques dont les artistes expriment la quête quasi mystique.
En la matière, les œuvres tellement délicates d’Andy Goldsworthy (Slate Throws, 1988), Giuseppe Penone (Soffio di foglie, 1979, un tas de feuilles de buis dans lequel se devine l’empreinte du corps de l’artiste), ou de Barbara et Michael Leisgen (La Création des nuages, 1974 ; La Description du soleil, 1975, où l’artiste entoure de son bras protecteur le soleil) dessinent parmi d’autres une puissante cosmologie poétique : l’art se situe ici en connexion avec la nature, dans un désir de réconciliation avec elle.
Les jeux aléatoires de la nature
Ce rapport d’admiration et de fusion invite aussi à jouer avec ses lois, à se laisser envahir par son énergie, comme si pour honorer la nature il fallait lui reconnaître la prééminence dans l’ordre des choses, y compris celui d’altérer le geste artistique. Beaucoup se prêtent à ces jeux aléatoires consistant à laisser la combustion, la pollinisation, la germination, la cristallisation ou la putrescence faire œuvre, par elles-mêmes, en dépit d’elles-mêmes.
De Charles Ross et ses Solar Burns (panneaux de bois soumis aux rayons de soleil) à Hicham Berrada et ses incroyables paysages chimiques conservés dans une cuve en verre, de Davide Balula et ses River Paintings, pleines des dépôts de l’eau dans laquelle les toiles ont été plongées, à Edith Dekyndt et ses Underground Pieces (des draps enterrés des années sous terre), la décrépitude des matériaux sous l’effet du contact avec la nature provoque une cartographie artistique sans pareil, marquée par ces “événements atmosphériques”, tels que les qualifiait Yves Klein.
Les œuvres rassemblées nous rappellent à l’ordre fragile du monde, dont il s’agit de célébrer la beauté autant que de conjurer la disparition
Mais ce que la nature doit à l’art tient aussi à la manière dont certains s’alertent de ses dérives et de sa vie en sursis. La conscience inquiète des artistes devant la crise écologique pousse certains d’entre eux à prendre soin des écosystèmes (Maria Laet) ou à favoriser la renaissance des formes de vie en danger, à l’image des œuvres puissantes des artistes féministes des années 1960, engagées dans des rituels de protection de Gaïa, la Terre mère (Gina Pane, Pierres déplacées, 1968) et de célébration de ses énergies fiévreuses (Judy Chicago, On Fire, 1969).
Au gré des éléments, au fil de l’eau, de fil en anguille, par l’image, la sculpture, la peinture, l’expérience en laboratoire, la performance, les œuvres rassemblées dans ces Cosmogonies nous rappellent à l’ordre fragile du monde, dont il s’agit de célébrer la beauté autant que de conjurer la disparition. Un art de la totalité et de l’infini.
Cosmogonies, au gré des éléments Jusqu’au 16 septembre, Mamac, Nice
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