Avec “Cartel” présenté au Festival Novart, Michel Schweizer interroge la mémoire d’un corps, celui de l’ancien danseur étoile Jean Guizerix. Un hommage à la danse et à la transmission.
« L’immobilité, c’est encore de la danse. » Jean Guizerix, élégance intemporelle, fait entendre cette sentence de Merce Cunningham. Sur le plateau à découvert du Cuvier d’Artigues où Cartel est donné sous l’égide de Novart, cet ancien danseur étoile du Ballet de l’Opéra de Paris plonge dans ses souvenirs. Une séance de travail avec Noureev, un studio à Manhattan où il rencontre le maître Cunningham. Et l’impression que ces expériences vont le nourrir à tout jamais, faire de lui ce qu’il est : un corps mémoire de la danse.
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Guizerix explique l’importance des mains pour comprendre le mouvement. A ses cotés, un jeune soliste, Romain Difazio, écoute ou copie dans un effet miroir. Jean Guizerix a tout connu; la gloire dorée sur tranche à l’Opéra, les créations contemporaines et la recherche. Son compagnon de route rêve peut-être de la même carrière : dans un final éblouissant, Difazio enchaîne les sauts et les tours sur une musique techno, parle de ces concours sans issue, des observateurs qui ne lui disent jamais tout à fait non. Mais pas vraiment oui.
On voit bien ce qui a pu fasciner un créateur comme Schweizer, adepte du documentaire-fiction mis en scène. Après des culturistes, des maîtres-chien ou des adolescents – le très beau Fauves –, il braque son regard sur les virtuoses de la danse classique. « Comment ces professionnels confirmés à la vie saturée par l’excellence d’un savoir-faire et ses croyances associés, sauront retrouver une marge de liberté dans une sorte d’élan testamentaire ? », questionne Schweizer. Et d’inviter, non pas une gloire du passé, mais un homme libre.
Cartel devait également bénéficier de la présence de Cyril Atanassoff, star du ballet dans les années 70. Blessé la veille des représentations, il a dû renoncer. Michel Schweizer intègre cet accident de parcours non sans ironie en brandissant une radio du pied de l’interprète – résultat, tendon d’Achille foutu, 2 mois d’indisponibilité. Atanassoff a été un Faune qu’on imagine superbe autrefois : Romain Difazio raconte la leçon que l’étoile lui a donnée. Car il est beaucoup question de transmission dans Cartel.
Lors d’un passage d’une infinie tendresse, c’est la chanteuse Dalila Khatir qui pose son visage sur le torse de Guizerix pour faire résonner la voix, transpercer le danseur. Rite de passage s’il en est. On imagine que Michel Schweizer a vu Véronique Doisneau ou plus sûrement Cédric Andrieux, les solos conçus par Jérôme Bel. Il a choisi une autre voie, moins détachée.
On pourra reprocher à Cartel d’être bavard, de l’introduction « écolo compatible » (avec des cyclistes qui, en pédalant, éclairent en partie le spectacle) aux allées et venues d’une comédienne, Mael Iger. Mais on oublie vite ces effets de style. Cartel est un hommage à la danse d’une rare puissance. Et Jean Guizerix, notre idole pour toujours.
Cartel, compte-rendu Novart Bordeaux et alentour. En tournée : La Villette Paris du 3 au 6 décembre, 14 janvier L’Estive Foix, 28 et 29 janvier La Filature Mulhouse, 4 au 8 février TNBA Bordeaux.
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