De la Biennale de Venise à la Biennale du Whitney Museum à New York, la production artistique la plus en vue du moment fait largement place aux étranger·ères, immigré·es, exilé·es, réfugié·es et peuples autochtones.
Portée par ces deux événements prestigieux et par des commissaires sensibles à la question de la représentation des minorités culturelles, cette attention traduit un décentrement dans la géopolitique du paysage de l’art ; un paysage marqué par la vitalité d’une scène extra-occidentale, souvent mal identifiée chez nous, ouverte à des formes de pensée cosmologique et à des récits critiques des scripts dominants, dont l’exposition séminale de Jean-Hubert Martin, Magiciens de la terre, pressentait dès 1989 la portée.
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Le commissaire brésilien de la Biennale de Venise, Adriano Pedrosa (premier curateur issu de l’hémisphère sud nommé à cette fonction), a titré cette 60e Biennale de Venise Étrangers partout, nom d’une œuvre du duo d’artistes Claire Fontaine (Fulvia Carnevale et James Thornhill) datant de 2009. Le Lion d’or de la Biennale remis à l’artiste franco-turque Nil Yalter pour l’ensemble de son œuvre (dont une installation sur la question de l’exil) et le Lion d’or de la meilleure participation nationale remis au pavillon australien (où l’artiste aborigène Archie Moore dessine un arbre généalogique monumental à la craie sur les murs, kith and kin) illustrent cette volonté disséminée des artistes de questionner l’exil, le racisme, la survie dans les marges sociales.
L’art pourrait-il émerveiller la réalité ?
On en retrouve aussi des traces à la Biennale du Whitney, que les deux commissaires Chrissie Iles et Meg Onli ont titré Encore mieux que la réalité ; comme si les artistes avaient, selon elles, cette capacité à explorer “la perméabilité des relations entre l’esprit et le corps, la fluidité de l’identité et la précarité croissante des mondes naturels et construits qui nous entourent”.
L’art pourrait-il émerveiller la réalité, sinon inviter à la transformer ? “We must stop imagining apocalypse/genocide + we must imagine liberation” : les néons lumineux de l’installation de l’artiste native-américaine Demian DinéYazhi’, placés devant les fenêtres du quatrième étage du musée new-yorkais pour pouvoir être visibles depuis la rue (où des lettres clignotantes révèlent aussi le message “Free Palestine”) traduit à sa manière un ethos artistique actuel animé par l’exigence de justice et d’imagination critique.
Alors, dans le chaos du monde, “comment vivre maintenant ?“. Comme un écho aux deux biennales, l’événement que propose cette semaine la philosophe Judith Butler au Centre Pompidou interroge, à travers des projections, rencontres et performances, cette aspiration des artistes pour d’autres futurs de la politique, conjurant les fléaux de l’autoritarisme, des corps exploités et invisibilisés… Soucieuse de ne pas parasiter l’événement, après ses récentes déclarations sur Gaza, Judith Butler a décidé de rester extérieure aux échanges. Les intervenant·es qu’elle a convié·es (Paul B. Preciado, Laure Murat, Anne F. Garréta, Maria José Contreras, Nacira Guénif, Michel Feher, Mathieu Potte-Bonneville…) repenseront à ses côtés les normes qui rendent les vies “invivables” en imaginant des formes pour un monde également vivable pour tous·tes.
Édito initialement paru dans la newsletter Arts et Scènes du 23 avril. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !
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