Faire coïncider la création de La Tempête de Shakespeare, avec des acteurs burkinabés à Ouagadougou, et le coup d’Etat au Burkina Faso : c’est le coup d’éclat de Thierry Roisin et des acteurs du collectif Bénèré.
Quelles bonnes fées se sont penchées sur le désir de Thierry Roisin de monter La Tempête de Shakespeare à Ouagadougou, au pays des hommes intègres, pour que le réel s’incline devant la fiction, la rattrape et, finalement, la concrétise ? Celles du théâtre, bien sûr, trop heureuses que le monde magique orchestré par Prospero, aidé d’Ariel, se ressource en Afrique, où le commerce avec les esprits perdure et imprègne la vie sociale et quotidienne. Et l’intuition d’un artiste, Thierry Roisin, qui, au terme de son mandat à la direction de la Comédie de Béthune, a eu besoin d’élargir son horizon et rêvé d’une aventure où il croiserait enfin le théâtre de Shakespeare tout en découvrant le Burkina Faso pour travailler avec le collectif Bénèré.
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La fable de l’ultime pièce de Shakespeare est belle comme une allégorie, qui met en scène le pouvoir, la liberté et le pardon à travers le personnage de Prospero, duc de Milan et magicien, exilé sur une île inconnue avec sa fille Miranda, après avoir été évincé du pouvoir par son frère Antonio, soutenu par le roi de Naples, Alonso. Avec l’aide d’Ariel, esprit de l’air, Prospero va se venger en provoquant une tempête qui fera s’échouer le navire où voyage ses ennemis…
Lorsqu’il écrit La Tempête, Shakespeare a lu les Essais de Montaigne, qui parlent de la colonisation. Raison de plus pour travailler avec des acteurs burkinabés, à l’exception de trois personnages, Trinculo, Caliban et Ariel, ce dernier interprété par deux comédiens, l’androgyne Natalie Royer, et Amado Komi, dit Vieux-Père, acteur lilliputien d’une trentaine d’années au corps et à la voix d’un enfant de 10 ans… “Ce choix s’explique par la question de la domination d’une culture sur une autre, qui, pour nous Français, évoque immanquablement la période coloniale, principalement en Afrique”, énonce Thierry Roisin.
Vitalité et pertinence
Au moment des premières répétitions, à l’automne 2014, Blaise Compaoré renonce à modifier la constitution et quitte le pouvoir après vingt-sept ans de règne et, entre autres exactions, l’assassinat de Thomas Sankara, son frère d’armes, président du Burkina Faso de 1983 à 1987. De retour à Ouagadougou cet été, Thierry Roisin assiste en direct au coup d’Etat et, lors de la création, en novembre au Cito (Carrefour international de théâtre de Ouagadougou), le couvre-feu est toujours de rigueur.
Alors, derrière les figures de Prospero et d’Antonio se dessinent celles de Compaoré et de Sankara, insufflant vitalité et pertinence à un spectacle où tout, du décor à la musique et au jeu des acteurs, met en valeur le talent de Shakespeare à souligner les failles de l’homme, par-delà les époques et le naufrage de ses idéaux.
La Tempête de William Shakespeare, mise en scène Thierry Roisin, les 14 et 15 janvier à Rouen, les 28 et 29 à Bar-le-Duc, les 4 et 5 février à Dunkerque, du 24 au 26 à Béthune
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