Evidemment qu’il faut rendre les œuvres pillées et vendues illégalement, notamment dans le cadre de la colonisation, mais comment faire ? La mise en pratique de restitutions se heurte encore à de nombreux freins, d’ordre juridique, institutionnel, mais aussi psychologique, ainsi que le soulignait le colloque tenu à La Colonie à Paris jeudi dernier. Mise au point.
On commence seulement à s’en préoccuper, alors que cela fait déjà un siècle que nos musées reçoivent des demandes de restitutions. En attendant, les oeuvres d’art illégitimement acquises demeurent dans les collections occidentales, les lettres de réclamation croupissent dans leurs archives, quand les autorités n’opposent pas tout bonnement un refus catégorique. C’est ce que fit l’ancien ministre des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, en mars 2016, lorsqu’il retorqua à l’égard du Bénin réclamant ses trésors: « Les biens que vous évoquez ont été intégrés de longue date, parfois depuis plus d’un siècle, au domaine public mobilier de l’État français. Conformément à la législation en vigueur, ils sont soumis aux principes d’inaliénabilité, d’imprescriptibilité et d’insaisissabilité. En conséquence, leur restitution est impossible. »
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Le message avait le mérite d’être clair, aussi clair qu’il ignorait cette jeunesse africaine privée des artefacts de son passé (on estime que 90% de patrimoine africain se trouve hors du continent), réfutant leurs conditions d’acquisition intolérables et les enjeux de développement économique et d’identité qu’ils représentent. Encore une fois, les pouvoirs s’abritaient tranquillement derrière le bouclier du droit pour continuer à faire l’autruche. Comme si le droit n’était pas modifiable…
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Dans la tradition française, c’est vrai, le patrimoine ne se vend pas, ne se rend pas, on le prête mais il reste propriété nationale. C’est inscrit dans la législation. Soulignons néanmoins qu’une commission de déclassement, certes un peu endormie, existe bel et bien. A travers le vote de lois d’exception, certains objets ont été déclassés pour réintégrer leur pays d’origine, comme des fragments de la tombe de Tekity à l’Egypte en 2009 ou une tête maori tatouée à la Nouvelle-Zélande en 2011. Interrogé par Les Inrocks, l’avocat Emmanuel Pierrat manifeste son malaise face à ces lois « souvent bien conformes à notre regard occidental-centré et judéo-chrétien« . « On rend des crânes ou des ossements, parce nous avons cette culture du corps conservé après la mort. » note-t-il, « Entre temps, on tarde encore à rendre des objets (qui ne sont pas des restes humains) à des communautés qui les considèrent pourtant comme des incarnations d’un défunt. »
Les restitutions, c’est regarder son histoire dans les yeux
Depuis l’affront de Jean-Marc Ayrault, les cartes ont été fort heureusement rebattues. Pour les restes humains comme pour les objets. A Ouagadougou fin novembre 2017, le Président Macron affirmait que d’ici cinq ans, il voulait « que les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique » et l’année suivante, il confiait à l’historienne Bénédicte Savoy et l’universitaire sénégalais Felwine Sarr, le soin d’étudier la question. Les deux experts rendront fin novembre une série de propositions.
Cette volonté politique nouvelle ne sort évidemment pas de nulle part. Elle s’inscrit dans un mouvement général de prise de parole intensifiée des pays spoliés et d’une évolution des mentalités, notamment à l’égard du tabou de la colonisation en France. Parce qu’envisager la restitution, c’est être prêt à regarder son histoire dans les yeux. C’est prendre en considération les blessures induites et tenter de les réparer. Mais le seul fait de rendre ces œuvres peut-il suffire à réparer le crime colonial ? Non, bien sûr, et c’est dans cette mesure que le terme même de « restitution » pose encore question.
Les restitutions, réinvesties par les affects
Lors de son intervention à La Colonie la semaine dernière, le psychanalyste Alain Vanier expliquait que « restitution laisse entendre rétablir dans un état premier. Or les objets rendus ne retrouveront ni leur lieu ni leur fonction. Selon moi, il faut parler de retour afin d’acter qu’on ne peut pas revenir en arrière. » Demeure cependant que le terme de retour apparaît plus neutre, niant dans sa terminologie la reconnaissance d’une faute et donc d’une dimension émotive. Les émotions. C’était bien d’elles dont il était question lors ce colloque à La Colonie, colloque organisé par l’artiste Kader Attia désireux d’aborder un sujet « ramifiant aussi bien des affects que la rationalité du droit ou de l’histoire« . Le plasticien souhaitait amener les participants -et c’est une approche nouvelle – à « considérer la déchirure que représente cette disparition d’objets en Afrique, ainsi que celle déclenchée chez les occidentaux lors de restitutions. »
Deux ethnologues, Brigitte Derlon & Monique Jeudy-Ballini, ont notamment partagé leur recherche autour de la relation qu’entretiennent les collectionneurs d’art dit « primitif » à l’égard de leurs objets, soulignant un « brouillage identitaire entre le collectionneur et le collecté« . Les interventions du colloque soulevaient ces résistances émotives pour mieux les déconstruire, pour mieux préparer la restitution et la ré-appropriation d’objets souvent désacralisés en Occident par leurs propriétaires. La résistance psychologique demeure en fait probablement la plus profonde. Collectionneurs, vendeurs, conservateurs et populations sont attachés sont à des collections inscrites sur leur territoire depuis des dizaines d’années, un attachement émanant aussi d’un amour véritable pour ces oeuvres venues de loin. Non qu’il faille le juger ou envisager un non-retour pour ces raisons, mais il s’agit de comprendre cette « passion » qui peut aussi devenir problématique.
Souvent, bien trop souvent, l’un des arguments d’opposition, lié à une forme de bienveillance, consiste en fait à s’alarmer de l’état et de la sécurisation des oeuvres dans les musées en Afrique. Mais enfin, pourquoi leur imposer un modèle muséal français ? La France devrait-elle maintenant poser ses conditions alors qu’elle a acquis ces oeuvres illégitimement ? L’instabilité politique de l’Afrique et la faiblesse budgétaire de ses musées sont des facteurs indéniables qui représentent sans doute un frein, mais ce sont des problèmes que les pays demandeurs ont à gérer, eux-mêmes, en interne !
De quel objets parle-t-on ? A qui faut-il les rendre ?
Admettons maintenant que ces résistances affectives soient écartées. Encore faudrait-il identifier les propriétaires des objets en question… Certes, le droit international semble trancher pour une remise aux « pays d’origine » demandeurs, mais il est évident que les régions esthétiques africaines ne correspondent pas toujours aux frontières étatiques tracées au cordeau par les occidentaux lors de la conférence de Berlin de 1884-1885. A titre d’exemple, le musée du Quai Branly détient une statue anthropomorphe datant du Xème siècle et émanant du peuple Soninké, peuple qui réside surtout au Mali mais aussi au sud de la Mauritanie. Ainsi, ne faudrait-il pas rendre plutôt les oeuvres aux communautés à qui elle ont été enlevées en première instance ? Si cette option apparaît souhaitable, on peut douter qu’une communauté puisse faire le poids face à un Etat et, qui plus est, à la communauté internationale.
Les freins à la restitution demeurent nombreux. La difficulté majeure réside dans le manque d’information et de transparence à l’égard des objets dans les collections des musées. Que pensez de ces oeuvres qui n’ont pas été acquises illégalement, mais l’ont été dans le cadre des rapports de pouvoir économique par exemple ? Dans Le Monde daté du 17 août 2017 , Bénédicte Savoy notait à juste tire que « la dispersion de l’art africain au XIXe et XXe siècle ne résulte pas que de la guerre ou de la colonisation. » et qu’ « après la décolonisation, elle est due au marché de l’art. »
L’université, un luxe d’occidentaux ?
La restitution est une affaire de cas par cas. Afin que les institutions françaises soient prêtes d’ici quatre ans, comme le prévoit Emmanuel Macron, les musées doivent avant tout mobiliser des moyens pour retracer les provenances, faire des inventaires mais aussi commencer à questionner sérieusement leur prétendue dimension « universelle » (héritée de la fin du XIXème où les musées occidentaux ont voulu posséder des objets venant du monde en entier). Il est à cet égard symptomatique que les pays demandeurs revendiquent le caractère identitaire national des objets alors que les occidentaux invoquent leur universalité. L’art appartiendrait-il à un peuple ou à l’humanité entière, donc aux occidentaux ?
Au micro de France Culture cette année, la directrice générale de l’UNESCO, Audrey Azoulay invoquait elle aussi la « valeur universelle » d’un patrimoine destiné à « être partager, expliqué, et circulant. » Elle proposait d’ »envisager de nouvelles coopérations avec des prêts à long terme ». L’universalité est certes un luxe d’occidentaux, mais son intention est louable s’il s’agit de faire circuler non seulement des oeuvres africaines, mais aussi des pièces occidentales . Les musées pourraient-ils prêter à l’Afrique des toiles de ses maîtres et ainsi permettre que ses oeuvres restent sur le territoire français ? Au-delà des restitutions, c’est un nouveau modèle de partage entre les musées qu’il s’agira d’inventer.
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