Ai Weiwei, ce n’est pas que des œuvres. C’est avant tout des actes. En témoigne sa récente décision de retirer ses œuvres du Danemark après l’adoption d’une loi “honteuse” contre les migrants. Retour ses combats les plus marquants et sur son usage des réseaux sociaux comme machine de guerre.
Leur fermeture anticipée aura fait plus de bruit que leur inauguration. Mercredi 24 janvier, le célèbre artiste chinois Ai Weiwei annulait ses deux expositions au Danemark, au musée d’ARoS à Aarhus et à la Fondation Faurschou à Copenhague. En cause, l’adoption la veille par le Parlement danois d’une loi sur l’immigration qu’il juge “honteuse”, permettant au gouvernement de saisir les objets de valeur des migrants supérieurs à 1 300 euros.
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Sans surprise de la part de l’artiste hyperactif sur le web depuis l’ouverture de son blog en 2005, c’est sur son compte Instagram qu’il a choisi d’officialiser sa décision à ses quelque 200 000 abonnés. Au même titre que Twitter, ces plate-formes sont pour lui des armes contestataires à part entière, permettant de concilier le temps long de la production d’installations souvent monumentales et le temps court de la réaction en direct à l’actualité. Autre motif de cette dissidence 2.0, la censure à répétition que fait peser sur lui Pékin depuis ses premières œuvres des années 1990 et, dernier épisode, son emprisonnement 81 jours durant en avril 2011, suivi d’une assignation à résidence sous le prétexte de fraude fiscale.
A nouveau en possession de son passeport depuis le 22 juillet, Ai Weiwei est partout. En Europe notamment, où il enseigne à l’école d’art Universität der Kunste à Berlin, mais aussi à Paris, où il montre actuellement des œuvres à la Fondation Vuitton et au Bon Marché. Depuis le début du mois, c’est à l’île de Lesbos qu’il a décidé de consacrer ses efforts, la porte d’entrée grecque des migrants vers l’Europe. Retour sur les cinq combats les plus marquants de sa carrière.
A Lesbos, un mémorial pour les migrants
Commençons par le futur, et plus précisément son projet de mémorial dédié aux migrants à Lesbos. Depuis janvier, Weiwei y a installé un studio, où il travaille avec une petite dizaine d’étudiants chinois et allemands. Son but ? D’abord profiter de la renommé mondiale que lui ont offerte ses expos blockbuster pour attirer l’attention sur la situation désastreuse des migrants. Son mode d’action ? La documentation web au quotidien. En témoigne le flux compulsif de photos postées sur Instagram, à raison d’une cinquantaine par jours, légendées d’un lapidaire « #refugees » ou du hashtag “#safepassage” lancé par Greenpeace.
L’appel au boycott des Jeux olympiques chinois
Nous sommes en 2008, les JO ont lieu à en Chine, le monde entier a les yeux tournés vers l’Empire du Milieu, qui a enfin l’occasion de s’ouvrir au monde et de prouver que des changements démocratiques sont en cours. Architecte de formation, Ai Weiwei conçoit le stade olympique de Beijing en collaboration avec les architectes suisses Herzog & De Meuron, l’emblématique “Nid d’hirondelle”. Mais à l’été 2009, Ai Weiwei se désolidarise des jeux et appelle au boycott de la cérémonie d’ouverture, refusant d’être associé à l’opération de “propagande” chorégraphiée par le parti et, selon lui, “indigne de la responsabilité d’un artiste”.
Un nom pour les anonymes du tremblement de terre du Sichuan
C’est la goutte qui a fait déborder le vase. Parmi les causes directe de l’appel au boycott des JO, il y a la décision du gouvernement chinois de taire le nom des quelque 5 000 écoliers victimes de la catastrophe du Sichuan, un tremblement de terre meurtrier survenu le 12 mai 2008, affectant en majeure partie les écoles bâties à la sauvette dans une région largement corrompue. Au Figaro, il déclarait : “J’avais pensé à une œuvre artistique en hommage aux victimes. Puis j’ai décidé de changer de registre. M’entendre dire qu’une liste d’enfants morts est ‘secret d’État’ était insupportable.” Au terme d’une longue enquête auprès des cadres locaux, il retrouve les familles des victimes et recueille les noms, puis dresse une liste encore visible en ligne sur son site. Le combat porte ses fruits : un an après, en septembre 2009 Pékin ployait et officialisait à son tour le nombre des victimes.
Se souvenir de Tian’anmen
Comme sa séries de photos de migrants sur Instagram, l’une des œuvres historiques d’Ai Weiwei repose sur le principe de la documentation en flux continu d’un engagement. Depuis 1995, il augmente sa série de photographies Study of Perspective, les fameux doigts d’honneur en POV adressés aux monuments symboles des gouvernements, de tous les gouvernements. Le gouvernement chinois n’y échappe pas, avec la série de photos prises sur la place Tian’anmen, lieu de la répression dans le sang des révoltes estudiantines de 1989 par le Parti – un sujet encore tabou à ce jour. Un an avant, Ai Weiwei y avait déjà pris un cliché inspiré de celui de Marilyn Monroe et sa jupe soufflée en l’air, pris sur fond du portrait de Mao sur la place. Le combat pour la mémoire est toujours d’actualité, puisqu’en 2009, 20e anniversaire de la répression du soulèvement, il met en ligne sur Twitter un poème commémoratif.
Ai Weiwei en fait-il trop ?
Largement muselée, la liberté d’expression en Chine se cristallise autour de l’usage d’internet. Le rayonnement mondial du blog de l’artiste, définitivement censuré et fermé en 2009, puis de ses comptes Twitter (interdit en Chine) et Instagram (encore autorisé), Pékin en a bien conscience, qui cet été n’a consenti à lever son assignation à résidence qu’à la condition qu’il ne parle pas aux médias – une condition qu’il s’est aussitôt empressé de briser.
Pour autant, Ai Wei Wei en fait-il trop ? En 2006 déjà, de nombreux amateurs d’art médusés avaient vu passer sur la toile le détournement du clip de l’insupportable hit Gangnam Style où se trémoussait nul autre que l’artiste. L’intéressé avait alors déclaré lors d’un entretien au Figaro qu’il s’agissait d’une manière de contourner la censure qui empêchait aux chinois d’accéder au contenu lié à son nom sur le net.
Il y a quelques jours à peine, c’est un selfie en compagnie de Paris Hilton qui nous avait arraché la même moue incrédule. Commis lors de l’inauguration de ses installations au Bon Marché à Paris le 16 janvier, ce selfie avait ensuite été posté sur le même compte Instagram qui hébergeait – et héberge toujours – les photos de migrants. S’il est permis de douter que la liberté d’expression ultime soit d’avoir la licence de se tirer le portrait en compagnie d’une bimbo déchue, une chose est sûre : la révolution sera instagrammée.
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