Le temps des grandes expositions de l’été démarre enfin, promis à la célébration de l’art, de la beauté, de l’œil extatique. Sera-t-il pourtant facile de s’en réjouir au lendemain du premier tour des législatives, et à quelques jours du 7 juillet fatal ?
Saurons-nous voir les toiles lumineuses de Matisse, Bonnard et Miro à Nice et à Saint-Paul de Vence, alors que tout est noir à l’extérieur ? Pourrons-nous profiter des Olympiades culturelles organisées de tous côtés à l’occasion des JO ?
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Saurons-nous nous extasier devant Ellsworth Kelly ou Matthew Barney à Paris, devant Katharina Grosse à Metz, devant les photographes réuni·es aux Rencontres d’Arles, les clichés de Cartier-Bresson à Landerneau ou de Depardon à Rennes ? Saurons-nous communier devant David Hockney, Laurent Grasso, Bob Wilson, et tous·tes les artistes rassemblé·es pour les 150 ans de l’impressionnisme en Normandie ? Pourrons-nous nous réjouir des promenades à ciel ouvert proposées par Un été au Havre et Le Voyage à Nantes ? Saurons-nous contempler la Collection Lambert, les paradis naturistes au Mucem, à Marseille, ou les paradis latins, à la Fondation Bemberg, à Toulouse ? Arriverons-nous à rire devant les facéties de Pierrick Sorin au musée d’Arts de Nantes ?
Est-il possible de se livrer au plaisir de l’expérience esthétique en la dissociant de notre expérience politique ? L’art est-il en soi possible et nécessaire quand le vent de l’histoire le remet à sa place anecdotique, le balaie comme un enjeu secondaire comparé à ce que la vie concrète s’apprête à devenir ? Le plaisir de la contemplation procède-t-il d’une déconnexion du réel, ou n’a-t-il de sens que dans son articulation avec l’inquiétude des esprits ?
La joie de l’œil doit-elle se détacher des troubles qui l’entourent ou se coller à eux pour les ruminer et les transfigurer ? L’art est-il une libération du monde ou un rappel de sa pesanteur même ? Peut-on jouir de la beauté plastique des œuvres d’art quand la société qui les abrite est en péril ? Faut-il s’interdire de croire en l’art pour résister au pire, ou doit-on redoubler de confiance en lui pour imaginer le meilleur ? Voir, est-ce penser pour agir, ou est-ce s’aveugler pour périr en paix ?
Entre scepticisme et espérance
Si toutes ces questions trouvent des réponses cohérentes chez celles et ceux qui s’accrochent à leur propre conception philosophique de l’art, on peut aussi faire l’hypothèse qu’elles peuvent, à un certain moment – tel que celui que nous vivons là, maintenant –, rester flottantes, et osciller entre scepticisme et espérance quant à ce que l’art peut nous apporter.
Les milliers de visiteur·ses attendu·es dans les musées et les centres d’art cet été seront peut-être traversé·es par ces interrogations avant même de se confronter à d’autres questions concrètes relatives aux politiques culturelles promises par le RN, engageant pour le coup les conditions réelles de travail des artistes et des institutions. L’été sera donc studieux, à défaut d’être meurtrier : comment voir des formes esthétiques quand les formes de la vie s’abîment ?
Édito initialement paru dans la newsletter Arts et Scènes du 2 juillet. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !
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