Avec “Coming Soon”, Lafayette Anticipations propose de jeter un regard sur des oeuvres uniques qui tentent de préfigurer nos futurs. Une expérience édifiante à ne pas rater.
Il y a dix ans, l’artiste Neïl Beloufa réalisait une vidéo en forme de sitcom, Screen Talk, imaginant un monde touché par une pandémie obligeant les populations à se masquer et à se mettre en quarantaine, bien avant que le Covid ne surgisse. L’artiste coréenne, Heji Shin, photographiait, en 2020, des Ukrainiens mimant la guerre dans des jeux de rôles, à travers un simulacre prophétique, deux ans avant la vraie guerre déclenchée par les Russes (The Recruit…). Matt Groening, créateur de la série animée, Les Simpson, en 1989, avait prévu depuis longtemps, au fil de ses 35 saisons, que, parmi tant d’autres prédictions, Trump serait élu président, dix-sept ans avant son arrivée à la Maison Blanche. Le producteur Matt Selman expliquait ainsi le pouvoir visionnaire des Simpson : “si chaque blague que l’on fait consiste à imaginer la pire chose qui puisse arriver, à un moment donné, l’une d’elles finira pas se réaliser. C’est ce qui s’est produit”.
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Entre prémonition et espoir
Les artistes abriteraient-ils donc dans leurs mains et leurs yeux une capacité prémonitoire, pouvant, par l’imaginaire de l’esprit, annoncer ce qui s’impose dans la réalité, à faire de leurs formes les signes de ce qui nous attend au fond ? L’artiste Barbara Kruger avait-elle raison lorsqu’elle déclarait, en 1997, que “l’avenir appartient à ceux qui peuvent le voir” ? C’est l’un des fils que tire la belle exposition de Lafayette Anticipations, Coming Soon, proposée par Rebecca Lamarche-Vadel, réfléchissant aux multiples manières dont l’art nous aide à réfléchir au temps sous toutes ses attitudes (passé, présent, futur), à faire face à ce qui nous arrive, à ce qui arrive, à la possibilité d’échapper au temps lui-même, à ne plus y penser aussi.
Structuré en plusieurs mouvements, le parcours oscille entre des gestes et des objets multiples, tous animés par le souci des artistes de s’inscrire dans les flux du temps, sous la forme de l’oracle, du prophète, du poète, du futurologue ou du survivant. De la fascinante laverie de Benoît Piéron (Laundrette), conçue comme un espace fétiche de l’attente et de la rêverie où l’on lave son linge sale en public, à la baignoire de Stéphanie Brossard (Intempéries), réceptacle poétique de ses souvenirs traumatiques d’une enfance rythmée par les cyclones à La Réunion, de Bridget Polk (Balance), artiste américaine installée au dernier étage dans un atelier où elle compose des figures géométriques acrobatiques en empilant des pierres les unes sur les autres avant qu’elles ne s’effondrent, à Cerith Wyn Evans (‘…après Stéphane Mallarmé’), qui nous rappelle avec son néon “qu’un coup de dés jamais n’abolira le hasard” et que nous n’avons pas d’autre choix d’admettre notre impossibilité de maîtriser totalement notre temps…, les artistes de Coming Soon troublent, par de multiples gestes, nos certitudes et nos sens sur ce que nous vivons et pressentons. En attendant demain, l’art, parfois prémonitoire et magique, aide surtout à mieux voir ce qui se joue dans le présent de nos vies. Coming now.
Édito initialement paru dans la newsletter Arts du 11 mars 2024. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !
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