Sous l’impulsion du très actif collectif new-yorkais DIS, Co-Workers présente à Paris une génération d’artistes dont l’esprit et les œuvres transitent par les réseaux. Eloge de l’échange par le flux.
C’est la traversée d’une saison, d’un moment de l’art, mais c’est aussi l’art comme moment, toutes ces heures qui nous transforment.” Cette citation est extraite du catalogue de L’Hiver de l’amour, exposition culte présentée en 1994 au musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Elle aurait aussi bien pu figurer en préambule de Co-Workers – Le réseau comme artiste, qui débute en ce mois d’octobre au même endroit.
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C’est Angeline Scherf, l’une des commissaires, qui nous a soufflé cet écho, rappelant qu’entre le panorama dessiné à l’époque par les artistes Elein Fleiss, Dominique Gonzalez-Foerster, Bernard Joisten, Jean-Luc Vilmouth ainsi que le rédacteur en chef de la revue Purple, Olivier Zahm, et l’exposition qui débute aujourd’hui, il existe en effet plus d’un parallèle.
Nous sommes là, souligne Angeline Scherf, non seulement face à “deux phénomènes de génération”, mais aussi face à “une même énergie et une même façon de se saisir de l’air du temps sans se laisser complètement prendre au piège”.
Une esthétique d’un nouveau genre
Arrêtons une juxtaposition qui ne soutiendrait pas longtemps la comparaison entre une expo hantée par les corps, en plein cœur des “années sida” d’un côté, et le paysage aseptisé de l’autre, et voyons de quel bois se chauffe Co-Workers, exposition ovni construite sur le modèle de l’open-space, dont la mise en scène et l’esprit ont été dictés par l’équipe new-yorkaise de DIS Magazine.
Ce printemps déjà, lors de la Triennale du New Museum à New York, l’occasion nous était fournie de découvrir une esthétique d’un nouveau genre, inspirée par ces espaces sans qualité que sont les Apple Store, les Starbucks et les zones de transit d’aéroport. Le collectif DIS y montrait The Island (Ken), un dispositif hybride qui combinait cuisine et salle de bains, espace social et espace privé, et accueillait les conférences et rencontres de la manifestation.
A propos de cette installation, que l’on retrouvera au musée d’Art moderne, on n’ira pas jusqu’à dire qu’elle est emblématique de la pratique de la nébuleuse DIS, tour à tour magazine, collectif artistique, plate-forme événementielle ou banque d’images, mais elle offre tout de même une bonne entrée en matière à son art du détournement et de la dissidence.
DIS : de la plate-forme digitale au hub créatif
En 2010, dismagazine.com naît du désœuvrement d’une bande d’amis dans le New York de l’après-crash de Wall Street. Le petit groupe, composé de Lauren Boyle, Solomon Chase, Marco Roso et David Toro, constate l’effervescence créative de son réseau, sans qu’aucun magazine ne s’en fasse l’écho.
Pour y remédier, ils lancent DIS, une plate-forme digitale qui, de proche en proche, évolue en véritable hub créatif, multipliant les collaborations à tout-va. “Internet constitue le premier tournant, mais l’apparition des réseaux sociaux en 2006 est une étape tout aussi importante, commente Angeline Scherf. Tous les artistes se sont connectés à des communautés, ça a considérablement élargi le champ de l’art. Aujourd’hui, le ‘je’ est un individu connecté.”
“Nous étions loin de nous douter de l’ampleur que ça allait prendre”, confie aujourd’hui Marco Roso, rencontré lors du montage de l’exposition au musée d’Art moderne. Et de fait, nombre des artistes les plus surprenants de ces dernières années, que l’histoire de l’art en train de s’écrire range – en attendant d’y voir plus clair – dans la mouvance du post-internet, ont fait leurs premiers pas dans le sillage de DIS Magazine.
Co-Workers représente notre modernité hyperconnectée
Ainsi, Ryan Trecartin, Ian Cheng, Timur Si-Qin et Hito Steyerl, que l’on retrouve parmi une trentaine d’autres dans l’exposition, dressent le portrait mental d’une génération formée dans les années 2000. Outre une esthétique du flux, de l’image trouvée et de l’appropriation, Co-Workers fait émerger les problématiques clés de notre modernité hyperconnectée : le brouillage des frontières entre sphère privée et sphère publique, l’impact du web sur l’environnement et la société, ou encore la dissolution du moi dans les identités multiples.
Face à ces mutations, impossible de continuer à présenter les œuvres au sein du white cube classique. Au musée d’Art moderne, l’exposition assumera donc la forme du réseau associant œuvres, installations interactives et performances, et sera ponctuée d’environnements de travail collectif. “Nous nous sommes un peu laissés déborder par l’idée de coworking”, concède, amusée, la commissaire face à la salle de sport de Timur Si-Qin et au dispositif conçu par l’équipe de DIS (une rangée de machines à expresso) pour présenter le film de Ryan Trecartin.
“C’est une nouvelle ère poétique qui s’ouvre”
Impossible, également, de restreindre l’exposition à un seul lieu. En résonance, le centre d’art Bétonsalon s’interrogera, à quelques mois de la COP 21, sur l’écosystème comme réseau, tandis qu’une invitation a été lancée à 89+ qui, sous la houlette d’Hans-Ulrich Obrist et de Simon Castets, orchestre depuis quelques années des résidences d’artistes “younger than Rihanna” au sein du Google lab. Au musée d’Art moderne, les artistes en résidence de 89+ officieront dans un aquarium aux vitres tantôt opaques, tantôt translucides, en fonction des caprices d’un timer.
“Cette génération DIS”, comme l’appelle le magazine américain Artforum, fait-elle preuve d’un sens de l’autocritique ? “C’est une nouvelle ère poétique qui s’ouvre, comme sous l’Antiquité, s’emballe Angeline Scherf. Ceci dit, s’il y a une fascination partagée pour cet outil magique qu’est l’ordinateur et la façon qu’il a de sans cesse nous dépasser, ces artistes ne se laissent pas complètement manipuler.” Regardez David Douard ou Ed Atkins, tous deux présents dans l’exposition : l’un et l’autre mettent en scène des avatars autistes et terriblement angoissés, qui constituent en soi une forme de critique et font grincer ce nouveau paysage écrit à l’encre blanche.
expositions Co-Workers – Le réseau comme artiste du 9 octobre au 31 janvier au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, Paris XVIe, mam.paris.fr
Co-Workers – Beyond Disaster du 8 octobre au 30 janvier, Bétonsalon, Paris XIIIe, betonsalon.net
Exposition Co-Workers : teaser par DIS avec… par paris_musees
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