Qu’est-ce qu’un jeune artiste peut bien retenir de Simon Hantaï, inventeur du « pliage comme méthode », héros des rapports entre peinture et écriture puis exilé volontaire de l’abstraction picturale ? Visite guidée à Beaubourg avec Clément Rodzielski.
Alors que l’oeuvre de Simon Hantaï semble davantage prisée par la génération précédente – pas un hasard si Daniel Buren livre un très beau texte en son honneur dans le catalogue –, on s’est demandé ce qu’un jeune artiste en pensait, lui, de ces toiles pliées, peintes, puis dépliées, de cet « étoilement » pictural qui ravit Didi-Huberman et une pléiade de philosophes. On a donc proposé à Clément Rodzielski de nous accompagner. À lui, parce qu’il avait adopté le leitmotiv d’Hantaï, « le pliage comme méthode », pour une série qui consistait à commander des affiches de films, à les recevoir par la poste et à en peindre le verso à la bombe aérosol en les dépliant peu à peu, mais sans jamais rien voir du recto. Les nuages de peinture débordaient bon an mal an sur le recto, sans que jamais l’artiste y mette la main, ni y jette un oeil.
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Peindre « les bras coupés et les yeux fermés », c’était aussi ce que privilégiait Simon Hantaï. A partir de 1960, il roule sa toile, la fripe, la froisse, en fait une boule et la peint. Il expérimentera le procédé dans tous les sens et les différentes séries (les Mariales, les Meuns, les Panses) témoignent de ces variations techniques.
Or il se trouve que Clément Rodzielski, qu’on prenait donc pour un héritier féru de cette abstraction méthodique, en apprécie surtout un autre versant.
« J’ai d’abord aimé les pliages. Mais je me suis aperçu que le procédé ne me suffisait plus. Il n’est plus question seulement de peinture, encore moins de ses outils. Ce qu’on voit, c’est bien plus que la constitution d’un tableau. La toile ne se tient pas seulement dans le processus qui conduit à sa fabrication. » Alors, quoi d’autre ? « Il y a l’ombre de tout le reste. C’est comme un éclat, une présence. C’est la fugacité d’une image qui apparaît, un éclat de couleur. »
L’abstraction (de Simon Hantaï, mais pas seulement…) ne peut plus être cantonnée à une question de méthode, de procédés, de procédures. L’artiste, charnière entre le surréalisme qu’il connut à ses débuts quand il arrivait de Hongrie, en 1948, et les avant-gardes des années 70, qui ont viré au maniérisme rigoriste et doctrinal, en professant la mort de la peinture, a de toute façon mis en crise son programme plastique. Ce que Clément Rodzielski perçoit dans cette exposition qui remonte le fil noueux suivi par Simon Hantaï : « Il a dû en passer par des niches étranges. Ces tableaux, un peu croûtes, sont quand même une drôle d’affaire ! Mais ils révèlent bien que le jeu des formes et des contreformes, les espaces laissés vierges, cernés par des étoiles de couleur, il lui a fallu dix, voire quinze ans pour y parvenir. »
Or, chez Hantaï, le meilleur ou le pire est toujours à venir. Car sa carrière ne se déroula pas d’un seul trait. En 1982, il arrête tout. Sans expliquer sa décision à ses proches ou aux conservateurs, galeristes ou critiques, qui tentent de le convaincre d’exposer à nouveau. Ce qu’il fera en 1998, dix ans avant sa mort, révélant par-là même l’existence de toiles gardées secrètes pendant des années.
Ces intermittences dans sa carrière sont finalement, aux yeux de Clément Rodzielski, à l’image d’un art qui ne craint pas de « se mettre en crise », jusqu’à la fin. La preuve avec la série des Laissées, où Hantaï « n’en finit pas de finir sa toile ». Cette ultime série consiste en effet à découper et recadrer des pans de l’immense oeuvre réalisée pour une exposition au CAPC de Bordeaux, les Tabulas. « Il fait une image, un gros plan, de ce qu’il a fait. Mais en contrariant sa façon de faire puisqu’il ne s’agit plus du tout d’ouvrir la toile comme un grand bouquet de fleurs » – mais bien plutôt d’en couper des tiges. Et, une fois tendu sur châssis, « chaque fragment a l’air beaucoup plus plat, quand auparavant l’artiste privilégiait les bourrelets de la peinture et de son support. »
Si bien que d’Hantaï, Clément Rodzielski retient les errements, la manière de faire les choses à l’envers, de détricoter le tissu de sa propre peinture : « Moi aussi, dit-il sans prétention, je me suis fixé des méthodes. Puis j’ai engagé des séries, pleines d’impasses. Et je ne suis pas mécontent de faire des choses qui échappent à ce que j’ai l’habitude de faire. J’injecte de la contrariété dans le protocole. » Ou comment prendre Hantaï à la lettre et en faire un modèle d’antimodèle.
Judicaël Lavrador
Simon Hantaï jusqu’au 2 septembre au Centre Pompidou, Paris IVe, www.centrepompidou.fr. Clément Rodzielski participe à l’exposition à la Maison d’art Bernard Anthonioz, Nogent-sur-Marne, à partir du 6 juin, www.ma-bernardanthonioz.com
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