Invité par le FRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur et les Musées de Marseille dans le cadre de MP 2018, Claude Lévêque a créé deux installations in situ fonctionnant en complémentarité entre le FRAC et la Chapelle du Centre de la Vielle Charité. Deux installations étrangement immersives qui fouillent dans nos souvenirs et en appellent à nos perceptions originelles. A la frontière entre onirisme et sensation cauchemardesque.
Claude Lévêque travaille depuis toujours les oppositions, se fondant sur « des couples affrontés et mêlés dans des tensions irrésolues« . Pour cette invitation en deux lieux que tout oppose, à moins que ce ne soit que l’effet du temps et de l’histoire, Claude Lévêque creuse les contraires en des polarités telles qu’elles viennent s’annuler. Il nous offre ainsi un voyage dans les tréfonds de la mémoire, touchant aux brumes des souvenirs d’une enfance envolée. Une réminiscence qui prend à la gorge et au corps, qui télescope dans un état de nature qu’on croyait éteint.
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Au Frac, Lévêque occulte la lumière pourtant fondamentale et partie prenante de l’architecture de Kengo Kuma pour plonger le visiteur dans l’obscurité, partant à tâtons à la découverte de cette table Louis XV géante – conçue avec les élèves du lycée professionnel Poinso Chapuis de Marseille – surpris ou terrifié par le système sonore. L’obscurité est crevée par un puits de lumière, un interstice qui invite à l’élévation, vers la lumière orange d’une chaleur lointaine qui nous sortirait des ténèbres dans lesquels Lévêque nous a plongés. A l’étage, l’ambiance lumineuse et sonore se construit en contre-point. Le couloir mène pourtant vers le grand saut en BMX, le retour à une obscurité terrifiante : celle des forêts sauvages qui peuplent nos inconscients.
A la Chapelle de la Vielle Charité, en pleine lumière, l’artiste joue avec les lieux sans rien y adjoindre qu’un rail depuis lequel pend sa sculpture miroitante (peu anodin si l’on songe au Miroir de Tarkovski). Au son du grondement infrabasse des entrailles du bâtiment, la simple rotation d’une forme réfléchissante conduit au volte-face des perceptions.
Aux confins du rêve…
Pourquoi alors ce retour à la nature annoncé, pour une immersion construite – culturelle – que tout dément ? La première des lectures nous invite à considérer les installations en elles-mêmes, à en appeler au pragmatisme de nos sens. C’est donc ce que nous voyons et entendons de prime abord : le bois des structures, le brame du cerf, la forme du sapin. Le retour à une nature simple, sans entremise, presque un fantasme du bon sauvage. Mais l’artiste, bien sûr, voit plus loin. S’il convoque le rêve par le biais de ces deux installations, c’est davantage pour faire resurgir un âge où la nature – préservée, choyée – était à portée de main, ou plutôt à portée de sens.
Peut-être Claude Lévêque nous enjoint-il ainsi à ré-adopter une posture minimale, humble, à l’échelle de notre (toute) petite taille face à la société (la table géante) ou à la nature (le sapin en élévation). Etre à l’écoute de notre environnement, ouvert à nos perceptions pour apprécier les infimes changements de l’inanimé, les bruissements du monde. Comme dans un rêve où, paradoxalement, les sens sont en éveil et peuvent débusquer, ici, les variations de lumière reflétée par le sapin lévitant, là, l’axe de la table modifié ou la friction du brame de cerf avec le tintement de la harpe. Tout devient possible dans ce voyage perceptif, même voler tel un Peter Pan moderne sur un BMX, en toute légèreté.
Vue de Life on the Line, Chapelle du Centre de la Vieille Charité, Photo Jean-Christophe Lett © Claude Lévêque, ADAGP Paris, 2018. Courtesy the artist and kamel mennour, Paris/London.
… et du cauchemar
Mais du rêve l’expérience peut tourner au cauchemar, à l’angoisse que produit cet état de latence entre le songe et l’éveil dont on ne parvient pas à s’éclipser. Telle Alice (au pays des merveilles), la table devient alors trop haute pour être atteinte, et le saut dans le vide trop vertigineux pour qu’on ne s’écrase pas au sol. La nature se fait menaçante, l’espace trop abyssal pour être appréhendé. Lévêque est un sorcier de la perception : à mesure qu’il interroge nos sens et les entremêle, il nous fait passer d’un âge à un autre, de l’émerveillement enfantin aux errements de l’adulte. En quête de sens.
Du cauchemar, on retrouve la charge émotionnelle que produisent ces deux installations, même en pleine lumière. Une sensation qui terrasse et dont on redemande. Il s’agit d’une force magnétique, qui nous attache aux résurgences de craintes enfouies, comme face à une scène d’horreur. A moins que ça ne soit la contemplation du sublime, qui a fui nos quotidiens an-esthésiés.
Claude Lévêque à Marseille, dans le cadre de MP 2018, Quel Amour ! : Back to Nature au FRAC PACA, plateaux 1 & 2 et Life on the Line à la Chapelle du Centre de la Vieille Charité, jusqu’au 14 octobre
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