Photographe et écrivaine. Lesbienne et résistante. Avant-gardiste et longtemps méconnue. Au Jeu de paume, (auto)portrait de Claude Cahun en artiste proto-queer.
Prénom : Claude. Nom : Cahun. Genre : « Neutre est le seul genre qui me convienne toujours. » En 1927, à 23 ans, Lucy Schwob (fille du patron de presse Maurice Schwob et nièce de l’écrivain symboliste Maurice Schwob) devient Claude Cahun, double autofictionnel au genre indéterminé. S’engouffrant comme quelques autres femmes artistes des années 20 dans une photographie en plein essor, Cahun, qui écrit depuis déjà quelques années, va accumuler les autoportraits pendant trente ans.
Dense, d’une incroyable modernité, son oeuvre balaie quelques-unes des thématiques artistiques majeures du XXe siècle : identité, genre, masque, autofiction, jeux de rôle. Elle se photographie le crane rasé et en débardeur, inquiétante avec son profil d’oiseau de proie, en haltérophile mutine, en extravagante, en bouddha zen, en dandy en costume ou encore au naturel,
vieillissante à Jersey (elle y mourra en 1954), avec son chat. « Ne voyager qu’à la proue de moi-même », écrit-elle dans Aveux non avenus, son livre le plus abouti. Leitmotiv d’un projet qui n’aura cessé de dessiner les contours d’un moi mouvant, multiple, aux contours aussi indéfinis que fascinants.
L’oeuvre de Claude Cahun nous est pourtant longtemps restée inconnue. Peut-être et avant tout parce qu’elle n’était pas destinée à être montrée (difficile de ne pas voir dans les autoportraits, surmontés d’une légende, un jeu érotique à tendance SM avec sa compagne Suzanne Malherbe dite Moore), et aussi parce que l’époque n’était pas mûre. Les premiers clichés filtrent, et ce n’est pas un hasard, au début des androgynes années 80. La consécration surviendra pendant les queer années 90. Une première exposition au musée d’Art moderne de la Ville de Paris lui est consacrée en 1995 – soit cinq ans après la parution de Trouble dans le genre de Judith Butler. A l’initiative de François Leperlier, biographe et spécialiste de Claude Cahun, elle présentait la quasi-totalité de ses photographies.
Conçue quinze ans plus tard par Leperlier et Juan Vicente Aliagas, cette nouvelle exposition au Jeu de paume choisit cette fois de recontextualiser Cahun, mettant en lumière dans chacune des sections quelques-unes des nombreuses lectures de cette oeuvre protéiforme surgie des deux côtés de l’Atlantique ces quinze dernières années : femme atypique, artiste protoqueer, artiste surréaliste (elle entretint des liens avec Breton, Michaux et réalisa de nombreuses photographies d’objets)…
L’exposition permet également de découvrir une Cahun militante. A une époque où c’est encore considéré comme une maladie, une monstruosité, Claude Cahun sort les cheveux ras teints en rose ou doré, s’habille en homme, n’hésite pas à prendre la défense d’Oscar Wilde, ou à écrire dans des revues des textes en faveur de l’homosexualité. Elle soutient également les communistes et rejoint la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale.
Depuis Jersey, avec Suzanne, elle confectionne sous l’Occupation allemande des tracts exhortant les soldats nazis à déserter ou à tuer leurs officiers. Panique côté Gestapo. Démasquées, elles sont condamnées à mort, et à six ans de prison.
« Par quoi commence-ton, la mort ou la prison ? », lance Claude au soldat allemand au moment de la sentence. Défoncées au Gardenal, elles sombreront dans l’inconscience et rateront de quelques heures le train censé les déporter vers les camps de la mort. Claude Cahun ou l’itinéraire d’une femme, qui toute sa vie, a eu tout bon.
Géraldine Sarratia
Claude Cahun jusqu’au 25/09 au Jeu de paume, Paris VIIIe, www.jeudepaume.org