Le festival Circulation(s) ouvre la voie à la scène européenne émergente. L’édition 2019 nous balade entre mélancolie et rage de vivre.
Le Géorgien Luka Khabelashvili est jeune (20 ans) et photographe. A ces deux titres, il trouve sa place sur le terrain balisé par le festival Circulation(s) qui, sous la direction artistique de François Cheval et Audrey Hoareau, entend promouvoir la photographie européenne émergente.
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Les images de Khabelashvili sont comme un archétype de cette ambition. Portraits ou paysages, elles racontent une histoire. Celle d’un pays bousillé, comme le reste de notre planète. Mais elles ont aussi une vertu protestataire par leur façon vivement poétique de conjurer les mauvais sorts.
L’exposition de Luka Khabelashvili se nomme The Enlightenment (« l’éclaircissement »). Une main se tend vers un nuage. Une pleine lune projette sa rousseur sur deux corps fantomatiques, et lui souligne : “Je fais des images pour ne pas me détester.”
Trente-sept jeunes photographes sélectionnés
Chacun à sa fenêtre, les trente-six autres jeunes photographes sélectionnés parlent ce même mélange de mélancolie et de rage de vivre.
Ainsi du travail onirique du Grec Yorgos Yatromanolakis qui, à la façon d’un Ovide contemporain, instruit des métamorphoses exaltantes : une pluie de météorites à l’envers s’échappant d’un lac, ou la découpe irradiante d’un enfant en suspension au-dessus d’un rocher, dont on ne sait pas s’il vient d’être téléporté d’une planète lointaine pour nous sauver ou au contraire s’il s’enfuit dans la galaxie pour échapper à notre apocalypse.
La part documentaire de Circulation(s) n’est pas moins romanesque. Ainsi de la Roumaine Felicia Simion qui a cadré des manifestations folkloriques dans la Roumanie d’aujourd’hui : on y voit la persistance d’une tradition festive mais aussi un déni à l’heure où les campagnes roumaines se désertifient. Et voilà donc que dans une photo de groupe tout en costumes traditionnels, s’intercale un gamin qui a enfilé un masque du film Scream.
Voir, être vu et subjugué
C’est ce même hurlement silencieux que l’on détecte dans Los Menonos, un reportage du Barcelonais Jordi Ruiz Cirera qui s’est immergé dans une secte d’anabaptistes à l’est de la Bolivie. On peut rêver que cette autarcie sévère pourrait être une solution.
Mais on comprend surtout que ce retrait a tout d’une régression communautariste prônant une pureté raciale et probablement raciste. Marine Lanier, quant à elle, a suivi pendant trois ans deux enfants devenus adolescents dans des paysages de forêt et de chaos basaltique. En noir profond et blanc obscur, on perçoit leurs silhouettes. Enfants sauvages ? Enfants loups ? Plutôt des enfants de notre siècle.
Quand les paysages deviennent des visages, le panorama n’est pas moins sombre. Tel le travail d’Hélène Bellenger qui fait affleurer sur des portraits des années 1930 le trucage coloré des maquillages qui était destiné à accentuer les contrastes du noir et blanc. Bleu sur les lèvres, jaune sur le nez. Clownesque et “monstrueux”.
Ou encore Mathieu Farcy qui, sur des portraits anthropométriques de gueules cassées de la Grande Guerre, occulte d’un bandeau noir la partie endommagée des visages. L’horreur rendue invisible est d’autant plus prégnante.
Son intervention s’intitule Méduse, du nom de la Gorgone qui ne pouvait ni être vue ni voir autrui. Jusqu’à ce que Persée la subjugue par son reflet dans un bouclier. Voir, être vu et subjugué. Méduse pourrait être le sous-titre générique de l’édition 2019 de Circulation(s).
Festival Circulation(s), du 20 avril au 30 juin, CentQuatre, Paris XIXe
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