En répétition dans un théâtre flambant neuf, la metteure en scène brésilienne propose une relecture du film de Lars von Trier, dont elle interroge l’issue tragique en regard de la politique de Jair Bolsonaro.
C’est en Suisse, dans une Comédie de Genève flambant neuve, que Christiane Jatahy finalise les répétitions d’Entre chien et loup, son spectacle librement inspiré du film Dogville (2003) de Lars von Trier. La découverte du nouveau théâtre – historiquement situé sur le boulevard des Philosophes –, dans le quartier populaire des Eaux-Vives, mérite que l’on revienne sur la genèse de ce déménagement.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Pressenti pour la direction de l’ancienne Comédie en 1987, le metteur en scène Matthias Langhoff avait conditionné sa venue à une refonte du lieu pour le recentrer sur les pratiques des métiers du théâtre. Il fut recalé. Mais le nouvel édifice a été imaginé à partir des recommandations de son fameux manifeste, Le Rapport Langhoff. Une fabrique où les liens entre les ateliers (décors, costumes, peinture) et les plateaux des deux salles de spectacle ont été pensés comme un préalable.
La crise sanitaire empêche d’ouvrir le bâtiment au public : Natacha Koutchoumov et Denis Maillefer – l’actrice-metteuse en scène et le metteur en scène qui dirigent l’institution – ont alors décidé d’accueillir les artistes dans le théâtre, en attendant d’avoir l’occasion de procéder à son inauguration.
Les lignes blanches et tout ce que l’on qualifiait de “théâtral” dans le film ont disparu
Christiane Jatahy et sa troupe ont investi le plateau de la grande salle : comme dans le décor de Dogville, l’agencement d’un mobilier disparate compose l’habitat de chacun·e. Mais les lignes blanches matérialisant le plan du village et la manière de mimer le mouvement des portes lors des entrées et sorties, ce que l’on qualifiait de “théâtral” dans le film, a disparu. Le conte cruel de Lars von Trier questionne le calvaire d’une femme ayant trouvé refuge dans une petite communauté. L’envie de s’intégrer l’amène à être progressivement asservie aux désirs des autres, et la volonté de s’en libérer la conduit à perpétrer un massacre.
“Le récit de Dogville est un prétexte pour évoquer une réalité brésilienne où la défiance envers l’autre ne cesse de grandir depuis l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite, à la suite de l’élection de Jair Bolsonaro. A la violence du bain de sang final retenu par le réalisateur, je préfère une lecture politique de la situation, pour m’interroger sur l’avenir en réfutant l’hypothèse d’une guerre civile.”
Inventer une autre voie
Renommée Graça, le personnage interprété par Nicole Kidman est incarné par Julia Bernat, actrice fétiche de Jatahy, qui joue une Brésilienne fuyant l’irruption du fascisme dans son pays mais se refuse à monnayer sa liberté au prix d’une morale biblique se résumant à l’archaïque “œil pour œil”. Prenant à témoin le public, les comédien·nes d’Entre chien et loup ouvrent le débat pour inventer une autre voie vers les valeurs de la démocratie et échapper à la logique du pire.
Entre chien et loup de Christiane Jatahy, d’après Dogville de Lars von Trier, avec Julia Bernat, Matthieu Sampeur, Véronique Alain, Elodie Bordas… Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris, et en tournée – dates à préciser
{"type":"Banniere-Basse"}