Alors que son spectacle s’installe aux Bouffes parisiens, l’humoriste Chris Esquerre évoque ses goûts ciné, l’insolvabilité de Dieudonné, Google et le sens de la vie.
Puisque tous les humoristes sont invités à se prononcer sur l’affaire Dieudonné, avez-vous un avis sur la question ?
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Chris Esquerre – J’aime bien l’idée de ne pas avoir d’avis, mais là il se trouve que j’en ai un. Pour moi, ce n’est pas un sketch donc il n’y a pas de débat. S’il tabassait sa femme sur scène, nous ne serions pas en train de palabrer pour savoir s’il va trop loin ou pas. Ce n’est pas parce qu’on est humoriste et sur scène que l’on a tous les droits. La question de la liberté d’expression est fondamentale – et pas seulement dans le cadre des sketches d’ailleurs, mais ça n’est pas dans le cas Dieudonné qu’elle trouve le mieux à s’exprimer. Quand Desproges disait que « pendant la Seconde Guerre mondiale, les Juifs prenaient le train gratuitement », il n’y avait pas de doute sur les idées du bonhomme. Le problème avec Dieudonné c’est que le doute est largement permis, et comme c’est un citoyen « de mauvaise foi », puisqu’il a organisé son insolvabilité, on ne peut plus lui faire confiance.
A l’opposé de beaucoup d’humoristes qui surfent sur la méchanceté et la moquerie, vous avez fait le choix de rire de vous-même. Pour quelles raisons ?
Peut-être parce que je suis trop bienveillant ! Je suis une crème, vous savez ! C’est finalement assez facile de rire des autres, tout le monde peut le faire. Vous faites monter quelqu’un sur scène et vous vous moquez, ça fait rire tout le monde. J’aime l’idée de prendre à ma charge le grotesque et le ridicule. Il faut accepter d’apparaître comme faible et peu séduisant, ce qui n’est naturel pour personne ! Le résultat est, de mon point de vue, plus drôle. C’est un sillon plus intéressant à creuser. Je préfère travailler une sorte de monstruosité sur scène plutôt que d’essayer d’avoir le beau rôle en sortant des vannes.
Vous avez choisi d’arrêter votre chronique télévisée au Grand Journal. Avez-vous abandonné l’idée de faire de la télévision ?
J’ai seulement abandonné l’idée de faire des sketches en plateau. Je réfléchis à proposer une émission pour la rentrée, ou au moins un type d’intervention novateur. Quelque chose qui soit peut-être plus proche de l’information que du divertissement. Il faut faire rire les téléspectateurs « fortuitement ». Je ne crois plus à la rigolade à la télévision vendue comme telle. Jusqu’ici, la télévision s’est surtout employée à « faire du sérieux sans se prendre au sérieux », c’était sa grande promesse. J’aimerais bien faire le contraire sans pour autant faire une émission-sketch. Je suis convaincu qu’il existe une « troisième voie » !
Auriez-vous envie d’être présentateur de JT ?
Remplacer David Pujadas serait l’aboutissement de ma carrière, oui ! Le journal serait bien sûr préparé par la rédaction de France 2, donc à l’abri de tout reproche sur le plan journalistique. L’idée n’est pas de placer des blagues au milieu de l’information – ce serait abominable – mais simplement de faire le job au mieux en ne respectant pas les codes propres à l’information. L’idée de faire quelque chose qui dépasse complètement mes compétences m’excite beaucoup. Allez, c’est d’accord, je vais remplacer Pujadas.
Comment voyez-vous l’année 2014 ?
2014 va se dérouler exactement comme 2013, à deux ou trois détails près.
Vous avez récemment déclaré que vous ne croyez pas aux » vertus individuelles au service du collectif » mais quelles sont alors vos solutions pour faire face à la crise environnementale qui menace la planète ?
Je voulais dire qu’il ne suffit pas de culpabiliser les gens pour faire changer leur comportement. Chacun est prêt à faire des efforts massifs s’il a la garantie que tout le monde fera les mêmes. A une table de dix personnes, personne ne va se priver de dessert pour la bonne cause s’il est tout seul à le faire. Bon, l’analogie n’est peut-être pas extraordinaire. La solution, c’est que ces efforts pour l’environnement soient imposés par l’Etat. Il faut un cadre plus coercitif. Il ne faut pas compter sur la responsabilité individuelle, qui est trop volatile. Et puis, faire de l’environnement un business comme un autre puisqu’on sait que ça marche comme ça.
Croyez-vous encore à la politique ?
Je suis un peu désenchanté. Elle ne me passionne plus autant qu’avant mais j’y crois encore.
Vous étiez giscardien ?
(rires) J’ai eu une jeunesse giscardienne de 3 à 7 ans mais Giscard m’a déçu à l’âge de 6 ans, quand le Carambar est passé subitement de 20 à 30 centimes. Ça a été un coup dur pour mes finances.
Vous utilisez un scooter. Serait-ce le meilleur moyen de locomotion pour tromper sa femme ?
Le mien tombe facilement quand on est deux dessus !
Quels films regardez-vous ?
J’ai regardé quelques films de science-fiction comme Oblivion. Je suis très bon public en matière de SF car j’adore le fantastique. Ça me rappelle quand j’avais des superpouvoirs. Et puis notre monde actuel, j’ai l’impression de le connaître un peu. Je suis plus facilement surpris par le monde de l’an 3000.
Quelle est votre dernière recherche Google ?
J’ai cherché ce matin la différence de sens entre le mot « munificence » et le mot « magnanime », je ne voyais plus trop la nuance.
Vous avez récemment tweeté que » réussir sa vie, c’est être prêt à la rater ». Comment cette réflexion vous est-elle venue ?
Un soir où j’étais un peu mélancolique, sans doute ! D’un coup, il m’est apparu que réussir sa vie, c’était s’en foutre de la réussir, et même arriver au point où on se dit : « Si je foire tout, eh bien, ça m’est égal, ça ne change pas grand-chose. » Arriver à ce point d’équilibre où les deux scénarios se valent presque, c’est ça l’accomplissement selon moi.
Comment expliquez-vous que, malgré votre génie comique, vous ne soyez pas davantage populaire ?
Oui, génie, c’est bien ce mot, là, merci. Quand on ne traite pas trop de l’actualité, qu’on n’insulte personne et qu’on ne court pas tout nu place de la Concorde, le chemin est souvent un peu plus long. C’est déjà bien de vivre de ce travail. Je n’ai pas à me plaindre.
Chris Esquerre du 25 janvier au 27 avril au Théâtre des Bouffes Parisiens, Paris IIe
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