Dans les jardins du château de Chaumont-sur-Loire, devenu un centre d’arts et de nature, des artistes contemporains produisent des oeuvres depuis dix ans. Pour célébrer le dixième anniversaire de ses « saisons d’art », la commissaire Chantal Colleu-Dumond a invité des jeunes artistes, comme Eva Jospin ou Duy Anh Nhan Duc, à transfigurer la nature pour en faire l’objet d’une contemplation artistique.
Pensée et inaugurée en 2008 par Chantal Colleu-Dumond, la “saison d’art“ du domaine de Chaumont-sur-Loire offre chaque année aux visiteurs du château l’occasion de découvrir des œuvres d’artistes contemporains, conçues pour s’insérer dans le cadre majestueux du parc. D’Andy Goldsworthy à Giuseppe Penone, d’El Anatsui à Tadashi Kawamata, de Patrick Dougherty à Rainer Gross…, les œuvres disséminées dans les jardins célèbrent la puissance poétique du Land Art : tous les artistes travaillent ici avec, dans et sur la nature. Cabanes, sculptures, installations fleuries, architectures fondues dans les bois et les végétaux, échelles dans les arbres… : la présence des œuvres rythme l’errance bucolique au gré de trouées esthétiques.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Pour marquer le dixième anniversaire de ces “saisons d’art“, Chantal Colleu-Dumond a lancé 15 nouvelles commandes à des artistes, dont certains déjà reconnus internationalement, tels Sheila Hicks (déjà présente l’an dernier) avec de nouvelles pelotes de laine et de lin, Nils Udo, de retour avec un “nid fantastique“, Anne et Patrick Poirier avec des œuvres “archivistiques“, Klaus Pinter avec une immense sphère couverte de milliers de fleurs d’or exposée dans l’Auvent des Ecuries du château, ou encore Fujiko Nakaya, avec une troublante sculpture de brume posée dans un bosquet de bouleaux.
Mais c’est aussi du côté des jeunes artistes que le parcours gagne en épaisseur sensorielle. Trois d’entre eux – Duy Anh Nhan Duc, Tanabe Chikuunsai IV et Eva Jospin – proposent ici des installations-sculptures ouvertes à l’émerveillement. Le Japonais Tanabe Chikuunsai IV, héritier d’une célèbre lignée d’artistes spécialistes de l’art du bambou, a réalisé dans la grange aux abeilles une monumentale et subtile installation de bambou tigré en forme d’architecture souple et abstraite, de rêve de labyrinthe aérien. Les tiges de bambou entremêlées comme des cordes semblent prêtes à s’envoler, comme si rien ne les retenait en dehors du geste mystérieux de celui qui les a consolidées entre elles. “Tout en ressentant la force de l’écoulement du fleuve royal au pied du château, j’ai voulu exprimer la source de l’existence de l’Homme, sa connexion avec la Nature, en créant cette œuvre dans un bâtiment chargé d’histoire“, explique l’artiste, connecté à des forces mystiques et à l’appel de la nature environnante.
Tanabe Chikuunsai IV – Photo : Eric Sander
Cette expérience contemplative indexée au spectacle d’éléments naturels recomposés dans un agencement sublimé se rejoue face à l’installation de Duy Anh Nhan Duc. Jeune artiste installé à Paris obsédé par le végétal, il dit vouloir “capter l’allure si unique des végétaux, de retranscrire les émotions qu’ils suscitent en lui et de les mettre en scène dans la narration qu’ils lui évoquent“. Une narration elliptique, traversée par le mystère d’un sacre du végétal dont le spectateur est un complice naturel, tant le spectacle nu de ces milliers de pissenlits, sa fleur de prédilection, génère un effet hypnotique. Se reflétant dans un miroir au sol, la poésie de ces pissenlits rassemblés pour cette installation, “Champ céleste“, tient à l’impression de son extrême fragilité, qu’un simple souffle serait capable de détruire. La délicatesse de l’installation invite ici à une expérience intérieure, celle du regard patient et discret : le souffle de la contemplation.
Photo: Eric Sander pôur le Domaine
L’autre magistrale installation du parcours porte sa promesse même dans son titre : “Folie“. L’artiste Eva Jospin évoque, au cœur du parc du château, les anciennes constructions décoratives très présentes dans les jardins anglais et français et italiens dès le 15ème siècle, conçues pour égayer les flâneries des promeneurs, voire abriter leurs liaisons dangereuses et secrètes.
Les forêts en carton auxquelles l’artiste s’est attachée depuis plusieurs années font place à Chaumont à une construction en ciment moulé, dont la structure extérieure brute ne laisse pas présager ce qu’elle abrite : un espace clos et féérique accueillant, comme dans un mythe de la caverne reconfiguré, l’ombre des guirlandes de cuivre, de pierres colorées et de multiples éléments végétaux. Dans cette grotte secrète, qui ressemble autant à une sculpture qu’à un tableau ou à un haut-relief, la nature trouve un abri à la mesure de sa beauté sauvage. Traverser cette “folie“, c’est comme s’enfuir dans un rêve échappant à toute interprétation solide, simplement ouvert à la divagation mentale et à l’éblouissement du regard que seule la nature parvient à autant électriser.
Jean-Marie Durand
Domaine de Chaumont-sur-Loire, centre d’arts et de nature, 2008-2018, 10 ans d’art
jusqu’au 4 novembre 2018
www.domaine-chaumont.fr
{"type":"Banniere-Basse"}