Dans les sublimes parcs du château de Chaumont-sur-Loire, des artistes contemporains, de Sheila Hicks à El Anatsui, s’installent pour célébrer les liens toujours réactivés entre art et nature.
Sur les bords de Loire, le château de Chaumont, surplombant le long fleuve tranquille, semble là depuis une éternité ; comme si rien de la marche du monde, entre la Renaissance et nos jours, ne l’avait vraiment altéré. L’empreinte du temps reste invisible. Il manque la princesse de Broglie ou Diane du Poitiers, ancienne maîtresse des lieux, pour s’imaginer vivant dans le décor d’une France royale. Pourtant, à peine entré dans son enceinte, où flottent de subtils parfums bucoliques, quelques signes apparents nous ramènent au présent. Au présent de l’art, c’est à dire à l’actualité du monde. Si les pierres racontent l’histoire du lieu, les aménagements des jardins brouillent les repères : aussi classique fût-il, le domaine de Chaumont-sur-Loire s’affirme comme un antre de l’art contemporain.
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Ici et là, au détour d’un sentier, des œuvres puissantes issues souvent du Land Art captent le regard. Une pure exaltation des sens s’ajuste à la contemplation des arbres avec lesquels les artistes jouent de complicité en invitant à relire le paysage d’une manière délicate et discrète. De Giuseppe Penone à Janis Kounelis, du cairn d’Andy Goldsworthy aux cabanes perchées de Tadashi Kawamata, de Gabriel Orozco à François Méchain, dont le splendide “arbre aux échelles“ est un hommage vibrant au Baron perché d’Italo Calvino…, la dissémination d’œuvres pensées pour dérégler et sublimer à la fois la nature ordonnée du parc, donne le ton, végétal, de la proposition de Chaumont. “Chanmé !“, me glisse un collègue encore un peu jeune.
Depuis 2008, le domaine déploie ainsi une vivifiante programmation artistique portant sur les liens entre art et nature, à la fois au cœur du château, dans les parcs et dans le cadre du festival international des jardins, qui sera inauguré cette année le 20 avril, à travers une édition au programme alléchant, intitulée « flower power ».
Dirigé depuis dix ans par Chantal Colleu-Dumond, ce centre d’arts et de nature accueille depuis début avril, avant même l’ouverture du festival des jardins, douze artistes dans son parc. Avec l’énergie d’un arbre bougeant dans le vent, solide sur ses pieds, agile dans ses mouvements, la directrice est aussi la commissaire inspirée de cette 9ème saison d’art de Chaumont-sur-Loire, qui célèbre le lien entre art, nature et patrimoine. Parmi les douze artistes invités à s’intégrer aux lieux, on retrouve quelques figures reconnues et d’autres plus jeunes, en devenir, et parfois les plus inspirées.
Célèbre pour sublimer le tissage et transformer des pelotes de laine en œuvres plastiques énigmatiques, presque sans formes définies, comme une pure projection de couleurs et un assemblage de matières, l’artiste Sheila Hicks expose ses créations textiles dans la galerie du fenil. Suite à une commande spéciale de la région Centre-Val-de-Loire, ces nouvelles créations font aussi écho aux tapisseries du château, en déplaçant son esthétique vers des versants à la fois plus pop et plus troublants.
A quelques mètres des pelotes de Sheila Hicks, la Grange aux abeilles abrite les très délicates cabanes arachnéennes de l’artiste française Sara Favriau : une installation pleine de grâce, comme en apesanteur, où des mini-cabanes sculptées comme de l’or, se retiennent les unes aux autres, en suspension, par des fils fragiles. Des fils aériens. L’artiste s’explique ainsi : “j’anoblis la fonction de charpente par des procédés et des gestes simples ; l’objet devient hybride, entre structure et ornement, et offre une nouvelle phase de lecture, au-delà du procédé de fabrication“.
L’autre œuvre majestueuse du parcours se cache dans le cadre imposant du Manèges des écuries : l’artiste Stéphane Guiran y a conçu une magnifique installation de fleurs de quartz translucides, intitulée “le nid des murmures“ : 4000 géodes de quartz, dont on dit qu’il est un gardien des murmures et qu’il donne écho aux pensées et aux émotions. Comme des rêves prêts à éclore, ses fleurs rassemblées confèrent à l’architecture du lieu une poésie inouïe, dont on a du mal à s’extraire tellement la sérénité contemplative contamine le corps.
Rien que pour ces trois artistes-là, sans compter les autres délicats gestes d’Andrea Wolfensberger, Rebecca Louise Law, dont les fleurs suspendues irradient l’espace, Miguel Chevalier, Sam Szafran, El Anatsui, Davide Quayola, dont les vidéos splendides disent aussi combien l’art vidéo s’immisce dans ce paysage de fleurs et de feuilles…, cette exploration du domaine de Chaumont-sur-Loire est une invitation à un voyage végétal hors norme, féérique par l’articulation opérée entre un ordre esthétique ancien et une intervention contemporaine, par la façon dont les artistes actuels s’immiscent, pour mieux en révéler les secrets, au cœur d’un théâtre naturel sans pareil.
Courant dans les bois, perchés dans des arbres, errant à l’ombre des tulipes blanches, tandis que la Loire coule en contre-bas, paisible, les visiteurs seront comblés de leur séjour à Chaumont-sur-Loire, ce pays où les jardins éclairent les cœurs et aèrent les esprits fatigués.
Jean-Marie Durand
Domaine de Chaumont-sur-Loire, centre d’arts et de nature, expositions et installations d’art contemporain, jusqu’en novembre
Lire : Art et nature à Chaumont-sur-Loire, par Chantal Colleu-Dumond, photographies d’Eric Sander (Flammarion, 172 p, 40 €)
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