Une grue, deux anciens sidérurgistes et trois danseurs sont réunis dans Cathédrale d’acier pour forger l’utopie d’une humanité au travail à l’heure où Florange ferme et voit ses hauts fourneaux détruits.
Vétéran de Chalon dans la rue – où il fut invité en 1997 avec Migrants, la toute première chorégraphie programmée dans ce festival des arts de la rue –, Ali Salmi y présente cette année Cathédrale d’acier : « Hommage aux hommes de labeurs, ceux de Florange, des hauts fourneaux, des chantiers navals coréens. » Le point d’orgue de cinq années de créations chorégraphiques où l’écriture des corps dans l’espace public se conjugue au témoignage de la violence du monde : les migrations (Transit, 2006), les conflits ((Des)astres du monde, opus 1 & 2, 2010 et 2011) et, aujourd’hui, la fin de la sidérurgie dans le Nord de la France où Ali Salmi est né et a grandi, avant d’y installer sa compagnie Osmosis.
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Pour mener à bien ces projets, l’immersion dans le réel s’impose ainsi que la rencontre avec des « passeurs-témoins » dont les spectacles gardent la trace sous forme d’images, de sons ou de voix off, mêlées à l’urgence d’une danse à l’état brut volontairement ancrée dans l’espace public, une idée fixe en tête : arracher le bitume. Après deux collaborations avec des photoreporter (Ad Van Denderen, Jérôme Sessini) qui lui ont donné carte blanche pour utiliser leurs photos mais ont toujours refusé d’être en scène, Ali Salmi convainc le correspondant de guerre photographe Patrick Chauvel de participer à la création de (Des)astres. Et se souvient de ses premiers mots adressés au public de Chalon en 2011 en ouverture du spectacle, après une séquence de chutes des danseurs : « Je vais vous parler de la guerre. Ne vous inquiétez pas, eux sont des danseurs. Ils vont se relever. »
C’est bien ce frottement entre les témoins-passeurs du réel et les danseurs – qui va, bien sûr, jusqu’au point de fusion et d’embrasement – qui est à l’œuvre et à l’origine de Cathédrale d’acier, réunissant trois danseurs, une opératrice de grue et deux anciens sidérurgistes – Marcel Rammler, de Florange, et Choon Man, de Hunday en Corée. Posée devant un arbre aux abords d’une maison, place Thévenin, ornée d’une pancarte aussi réelle que poétique – Comité de quartier. Ile d’amour. –, la grue en impose, tout autant que les poutrelles d’acier et les câbles métalliques que danseurs et ouvriers sidérurgistes manipulent à vue. Accrochés à la nacelle de la grue, suspendus dans les airs ou roulant au sol, les danseurs opèrent en simultané avec les ouvriers, à la fois témoins d’un monde englouti et porteurs d’une mémoire qui prend la forme d’une chanson de gestes où leur savoir-faire glisse de leurs mains à l’air moite de la nuit. Chorégraphie silencieuse, précise, opératique, qui inspire aussi celle des danseurs :
« On se met à l’œuvre ensemble pour faire le spectacle, insiste Ali Salmi, avec la machine qui inscrit les cadences. Faut que ça tourne ! On embarque toute cette humanité pour raconter le labeur ouvrier, la pénibilité du travail, mais aussi la fierté et l’amour du travail, de l’usinage des pièces à la précision des soudures. A un moment donné, le plateau s’efface devant ces hommes plongés dans leur réel, réel qu’on emmène dans une danse sensible, engagée. Eux tordent le fer, nous, on tord nos corps. »
En guise de cantiques et de psaumes, Cathédrale d’acier s’élève haut dans le ciel de nos utopies, portée par la musique de Gil Scott Heron et les témoignages en voix off d’ouvriers du haut fourneau U4 de la vallée de Fensch. Au final, danseurs et sidérurgistes initient un compagnonnage inédit qui, du temps lointain des cathédrales à l’extinction récente des hauts fourneaux, perpétue le même désir d’un en-commun enthousiaste et militant au travail et dans la création.
Fabienne Arvers
Cathédrale d’acier, chorégraphie Ali Salmi, le 26 juillet à Chalon dans la rue.
Le 16 août au festival La Sarre à Conte/Sarralbe (57). Du 20 septembre au 20 octobre, au Gwacheon Festival, Corée du Sud.
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