Avec la publication du texte de sa pièce sur le ghetto de Varsovie, David Lescot nous livre ses réflexions sur la puissance de la mémoire comme lien vivant entre les hommes.
Donner forme à une rencontre. C’est la plus simple définition du projet théâtral Ceux qui restent, créé à Paris en 2014, de l’auteur, metteur en scène et comédien David Lescot. Sur le plateau nu, deux acteurs reproduisent la teneur de ses rencontres avec Wlodka Blit-Robertson et Paul Felenbok, deux rescapés du ghetto de Varsovie.
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Deux prises de parole qui sortent de soixante-dix ans de silence à l’occasion de l’anniversaire de l’insurrection du ghetto de Varsovie et restituent les souvenirs d’enfants qui se sont construits sur la perte des proches, la fuite, la peur, la proximité de la mort et l’exil.
“Ça me tombe dessus comme une fatalité”
A l’éphémère du théâtre et à l’essentialité de sa rencontre avec le public, David Lescot ajoute aujourd’hui la pérennité de l’écrit avec la publication de ces entretiens, assortis d’un prologue où il relate la genèse du projet né d’une proposition de Véronique, la fille de Paul Felenbok.
Au départ, il renâcle, n’est pas sûr d’en avoir envie ou le temps : “Et à mesure que je dis non, je sens que je le ferai, qu’il ne pourra pas en être autrement. Ça me tombe dessus comme une fatalité.”
“La pauvre notion d’identité”
Il n’y aura qu’une rencontre avec chacun des protagonistes à partir de laquelle David Lescot élabore Ceux qui restent en intercalant, par chapitres, leurs paroles et la différence de perception de deux enfants que cinq années séparent.
Après coup, il réalise qu’il a choisi deux acteurs non juifs et ça le réjouit : “Je préfère que les témoins et leurs témoins n’aient pas de lien entre eux a priori, et alors on s’apercevra qu’ils en ont beaucoup plus que prévu, et surtout plus que la pauvre notion d’identité ne permet de le penser. Ce lien, c’est l’histoire.”
“La mémoire se dérobe aux injonctions”
Le legs de Ceux qui restent ne relève pas pour lui d’un devoir de mémoire qui “fige l’histoire qui est un mouvement vivant, et parce que la mémoire se dérobe de toute façon aux injonctions, et que l’on ne sait pas ce que le passé nous réserve”.
Une remarque fulgurante et juste qui éclaire les paroles de Paul Felenbok à l’issue de la première du spectacle à Antoine Mathieu qui jouait son rôle : “Tu as porté mon sac à dos.” Le soir de la dernière, Antoine lui dit : “Je te rends ton sac à dos ?” Et Paul répond : “Mais il est vide.” C’est en nous, désormais, qu’il pèse son poids de vérité et de conscience.
Ceux qui restent de David Lescot (Gallimard), 130 pages, 16,40 €
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