Dans leur premier spectacle qui reprend les codes du burlesque, Louise Herrero et Estelle Rotier sautent à pieds joints sur le patriarcat avec une écriture aussi singulière que politique.
C’est l’histoire de Palmier et Thérèse, deux femmes corsetées dans d’étranges costumes médiévo-futuristes, qui se parlent sans se regarder, et suivent une même routine, très stricte, jour après jour. C’est l’histoire de Palmier et Thérèse, qui semblent appartenir à un autre monde, peut-être antérieur, peut-être futur, peut-être terriblement proche de celui dans lequel nous vivons, peut-être même en tout point semblable à celui dans lequel certain·es vivent actuellement.
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On ne voit rien, de ce monde. Il réside dans le hors-champ. Mais on imagine aisément une dictature patriarcale, où les femmes se font découper en morceaux car elles ont ri, ou parlé trop longtemps, comme toutes deux le racontent autour d’un déjeuner. Lentement, la mécanique journalière de Palmier et Thérèse coince, s’oxyde, dérape. Les voici qui vrillent. Palmier est en proie à des pensées érotiques, Thérèse fantasme sur la nourriture. Leurs corps opprimés se rebiffent. Il est l’heure de se révolter.
Sexisme mutilant
Ce premier spectacle au titre pertinent – C’est un réflexe nerveux on n’y peut rien – écrit, monté et joué par deux comédiennes, Louise Herrero, 26 ans, et Estelle Rotier, 28 ans, a la brillance de la singularité. Voici deux jeunes femmes qui pourfendent le sexisme tout en faisant œuvre de fiction dystopique et malicieuse, profondément ancrée dans le burlesque. On rit beaucoup, et jaune, à voir Palmier et Thérèse reproduire leur absurde mécanique journalière, engoncées dans leurs habits comme dans les bonnes manières qu’une femme se doit de respecter dans ce monde qu’elles habitent sous peine d’être sévèrement punie, voire tuée. Ce monde comme une version maximalisée de celui que nous habitons.
L’intelligence de leur proposition vient donc de ce délicat mélange entre le tragique et le comique, la fiction et le discours politique, mais aussi de leur travail sur la langue. Si leurs corps sont au cœur du spectacle, leurs paroles disent, aussi, le sexisme mutilant. Jusqu’à cette scène – l’une des meilleures – où, au bord de l’explosion, les deux femmes ne parviennent plus à trouver les bons mots pour exprimer ce qu’elles souhaitent, s’emmêlant les pinceaux entre l’inconscient et le conscient, entre leurs pensées et la bienséance, prenant “bite” pour “vite”.
“Donner l’impression d’une armée de femmes, prêtes à abattre un monde”
La rencontre s’est faite à l’école de théâtre “du jeu”, située dans le quartier de Barbès (Paris, XVIIIe). Là, les deux élèves se retrouvent à jouer ensemble un sketch de Jacqueline Maillan. La complicité se fait, les discussions sur la place des femmes dans l’humour, aussi. “On s’est demandé à quel moment les femmes s’emparaient de l’humour non plus en tant que simples spectatrices qui rient, mais aussi en tant que productrices d’humour. Prendre la parole pour faire rire les autres, c’est un acte quasiment transgressif lorsque l’on est une femme. On a retrouvé une interview de Jacques Chancel dans laquelle il demande à Jacqueline Maillan si, en gros, elle est vraiment une femme puisqu’elle fait rire.”
À la sortie de l’école, en 2019, Louise et Estelle montent leur compagnie, La Mesa Feliz, et s’attellent à l’écriture de ce premier spectacle. “On s’est rendu compte que le rire naît souvent d’une situation de tension, de contrainte très forte. On a donc inventé tous ces rituels qui rythment la pièce, comme le quotidien de Palmier et Thérèse. De là est né ce monde contraignant, qui permet la gaffe, le dérapage.” Louise : “On voulait aussi un univers très fort visuellement. Il y a quelque chose de moins frontal et de plus malicieux dans la manière dont on voulait aborder la question du sexisme. On s’est décalées un tout petit peu, afin que tout ne soit pas totalement référencé.” On pense à Laurel et Hardy, à Charlie Chaplin, à Laure Calamy, au Sacré Graal ! des Monty Python, mais aussi à The Handmaid’s Tale pour la dystopie patriarcale tragique et les costumes. “Un jour, une spectatrice nous a dit qu’elle avait eu l’impression que nous n’étions pas que deux sur scène, mais qu’il y avait plein de femmes autour de nous. C’est exactement ce que nous voulions : donner l’impression d’une armée de femmes, prêtes à abattre un monde.”
Ceci est un réflexe nerveux on n’y peut rien, jusqu’au dimanche 22 mai inclus au théâtre des Déchargeurs (Paris, Ier). Plus d’informations ici.
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