Exposé au Centre George-Pompidou avec une trentaine de nouvelles œuvres, Jean-Luc Moulène met en scène un univers mécanique et perturbant.
A la rétrospective, Jean-Luc Moulène a préféré la “Rétro-Prospective”.Invité par le Centre Pompidou, l’artiste français, né en 1955, a choisi de détourner l’exercice de mi-carrière pour en tirer un manifeste de sa pratique à venir. A savoir une trentaine de nouvelles œuvres, toutes élaborées selon le même processus mêlant sculpture et ingénierie.
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Entre organique et mécanique, synthétiques et fières de l’être, ces formes semblent nous provenir tout droit de l’imaginaire pervers d’un Dr Frankenstein des temps modernes, qui aurait troqué son scalpel contre une imprimante 3D.
“Je m’adonne à la pression plutôt qu’à l’expression”
Pervers parce que, plutôt que de procéder par fusion, les règnes s’imbriquent ici violemment par la coupe et l’intersection. C’est le cas de Car & Girl, télescopage entre les courbes d’une carrosserie automobile et d’un corps de femme, venant en apparence réactiver le fantasme ballardien.
Mais un truc cloche. Ces sculptures sont trop lisses, trop parfaites pour procéder d’un imaginaire humain ; une impression qu’accentue l’emploi de couleurs étrangement délavées – abricot fadasse, bleu pétrole, beaucoup de gris sans qualité.
Ce qui dérange, c’est que les œuvres n’en ont rien à cirer de nous, humains, et demeurent totalement imperméables au visiteur. “J’ai abandonné très tôt l’idée de l’art comme expression personnelle. Je m’adonne à la pression plutôt qu’à l’expression”, confirme l’artiste à la revue Artforum.
Un imaginaire désanthropologisé
L’impression de se retrouver dans “l’univers sans l’homme”, pour reprendre le titre du livre que l’historien de l’art Thomas Schlesser vient de consacrer à cet imaginaire désanthropologisé, est renforcée par la scénographie.
La tentative de dépasser tout point de vue incarné
Ouverte sur la rue, laissée sans cimaises, la Galerie sud est parsemée de socles placés à équidistance, trop loin les uns des autres pour que l’on puisse vraiment appréhender l’exposition comme un tout. On y flotte, donc, avec l’impression d’être à la mauvaise échelle qu’a ressentie quiconque s’est baladé à pied dans une ville américaine conçue pour le déplacement motorisé.
Pour cette raison, on ne peut s’empêcher de faire le rapprochement avec la dernière série du sculpteur moderniste Anthony Caro. Un an avant sa mort en 2013, le Britannique revient fasciné d’un voyage aux Etats-Unis. Il a pu observer comment la perception de l’environnement se métamorphose dès lors que l’on contemple le paysage en filant à toute allure sur l’autoroute. Il en tirera les Park Avenue Series, maquettes non réalisées de sculptures monumentales destinées à être aperçues depuis la banquette arrière d’une voiture.
Cet imaginaire est présent chez Moulène, qui s’intéresse cependant moins aux questions de perception, encore trop liées au corps humain, qu’à la tentative de dépasser tout point de vue incarné – il est proche des théoriciens du courant philosophique de l’ontologie orientée vers l’objet, notamment de Reza Negarestani, penseur des “matériaux anonymes”.
Les mathématiques et la pensée par assemblage, voilà son modèle de prédilection, comme en témoigne l’exposition plus intime que lui consacre en parallèle la galerie Chantal Crousel. On y tombe en arrêt devant ConquOs, petit objet quasi tribal imbriquant une conque et un os.
Simple comme les hasards de la nature, qui elle aussi se moque bien d’être ou non regardée, ce petit objet contient, comme le coquillage la mémoire de la mer, toute l’ontologie furieusement contemporaine de l’artiste.
Jean-Luc Moulène jusqu’au 20 février au Centre Pompidou, Paris IVe
Ce fut une belle journée jusqu’au 11 février à la galerie Chantal Crousel, Paris IIIe
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