« Nous sommes en colère ». Le réseau des Centres d’art contemporain réagit à l’annonce du maire de Quimper qui condamne à mort son centre d’art.
La triste chronique des centres d’art menacés vient de s’allonger d’une ligne. Après la fermeture Des Eglises à Chelles, du Cac de Bretigny-sur-Orge et, il y a quelques semaines, de la Galerie du Dourven dans les Côtes d’Armor, c’est au tour du Quartier, le Centre d’art contemporain de Quimper de faire les frais de coupes budgétaires drastiques et de la décision de la mairie de Quimper (sa tutelle principale) qui signent son arrêt de mort. L’été dernier, le Père Ubu s’improvisait commissaire posthume d’une exposition collective dans les pas du facétieux Alfred Jarry. On y croisait les oeuvres de Benjamin Seror, Pauline Curnier Jardin ou Julien Bismuth après des expositions consacrées à Guy de Cointet, Charlie Jeffrey ou Fayçal Bagriche. Un an plus tard, la situation, devenue ubuesque, affole le réseau des Centres d’art et son directeur Etienne Bernard qui signe la tribune ci-dessous.
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« Après deux années d’incertitude et de négociations conduites par l’Etat, la Région Bretagne et le Département du Finistère, et portées par l’engagement public et citoyen, la Ville de Quimper menace de ne plus verser de subvention à son centre d’art contemporain, le Quartier, à compter de 2017. La Ministre de la Culture et de la Communication a réitéré, dimanche 29 mai 2016, son souhait « que le dialogue entre les partenaires publics reste ouvert pour chercher des solutions et éviter la remise en cause brutale et définitive de cet espace de culture ». Nous espérons vivement que son appel soit entendu car cette décision, qui impacterait de près de moitié le budget de la structure, en signerait l’arrêt de mort. Elle serait l’œuvre du Maire de Quimper, et de lui seul, qui reviendrait ainsi sur les engagements pris jusqu’ici par la Ville. Elle mettrait fin à vingt-cinq années de projets, de rayonnement culturel et artistique du centre d’art sur le territoire. Elle balaierait surtout huit emplois et autant de vies.
L’Association française de développement des centres d’art contemporain, ainsi que tous les amis du Quartier sont consternés et en colère de constater à quel point le lieu d’exercice de la démocratie qu’est le lieu de création est fragile, à la merci de décisions politiques autoritaires et hâtives.
Le Quartier est un centre d’art contemporain inscrit dans le paysage local depuis un quart de siècle. Il est un lieu ressource de production et d’exposition d’œuvres d’artistes contemporains, leur offrant un contexte de réflexion, de travail et d’échange, ainsi qu’une visibilité à la fois locale, nationale et internationale. Il est par ailleurs un lieu d’accompagnement des artistes dans leur professionnalisation, notamment les jeunes artistes fraîchement diplômés des écoles d’art. C’est enfin un lieu dédié à l’accueil des publics les plus larges, ancré sur un territoire, dans un souci de démocratisation de l’accès à la création contemporaine. Au travers de programmes spécifiques pour les scolaires de la maternelle à l’enseignement supérieur, pour les enseignants en histoire des arts, il est un médiateur de l’art inscrit dans le tissu socio-économique local.
Le Quartier compte à ce titre parmi les quelques initiatives qui, dans l’échange, dans l’exigence et dans l’intelligence, contribuent à faire exister Quimper aux yeux du monde. Mais il peut donc disparaître du jour au lendemain, par la décision unilatérale d’un élu dont le périmètre de regard ne dépasse malheureusement pas les frontières de sa circonscription. L’élu en question opposera très certainement à ces mots que le centre d’art était un lieu hermétique, fermé sur lui-même, lieu de réunion d’une supposée élite. Mais face à cette litanie populiste trop bien connue, les faits sont là. Aujourd’hui, le Quartier, fréquenté par près de 15 000 personnes chaque année, risque de fermer ses portes par décision d’un seul.
Alors oui, nous sommes en colère. Car à travers le dramatique cas du Quartier, c’est tout le tissu culturel hexagonal qui est frappé de plein fouet. Comme nombre de structures, qui depuis près de trois décennies construisent avec créativité et engagement le paysage culturel démocratique français que tant de pays nous envient, les centres d’art contemporain sont pris en étau entre crise budgétaire et réforme territoriale.
D’un côté, les baisses de dotations nationales aux collectivités territoriales, aujourd’hui devenues les principaux financeurs de la culture, donnent toute latitude à l’obscurantisme populiste pour s’exprimer dans les faits sans avoir à se justifier sur le fond. À l’évidence, à Quimper, comme dans de trop nombreux contextes ailleurs, la mise à mal du projet est idéologique bien avant d’être économique. Mais il y a fort à croire que le Maire de Quimper usera plus que de raison de ce second argument pour renvoyer l’État dans ses cordes et ainsi éviter d’assumer son étroitesse d’esprit.
De l’autre, la réforme territoriale en cours vient ébranler une histoire institutionnelle fondée sur le partenariat entre collectivités et État. De la refonte des périmètres des régions à la métropolisation, en passant par la réévaluation de la compétence culturelle des départements, c’est le modèle même de structuration de nos établissements qui devient caduque. Et plutôt que d’inventer collectivement les nouveaux moyens permettant aux projets culturels d’opérer cette mutation, les pouvoirs publics préfèrent trop souvent nous laisser seuls face à un changement de paradigme économique et politique qui nous dépasse.
Voilà pourquoi nous en appelons à la responsabilité politique de chacun, ministre, élus nationaux, régionaux, départementaux, métropolitains et municipaux : il faut repenser ensemble, de façon claire, lisible et partagée une politique culturelle structurante pour les territoires français. Pour notre part, nous y sommes prêts. Nous ne sommes en rien opposés au changement. Du 4 au 7 juillet prochains, l’Association française de développement des centres d’art contemporain réunira d’ailleurs l’ensemble des équipes des centres d’art, pour un forum professionnel au Centre International d’Art et du Paysage de Vassivière, afin de partager expériences et pratiques innovantes, d’interroger les évolutions des métiers au sein des centres d’art, et plus généralement de débattre sur le rôle des centres d’art dans la société d’aujourd’hui.
Avec 1,6 million de visiteurs par an, dont 200 000 scolaires, 2 000 artistes exposés et 1 000 œuvres produites chaque année, les centres d’art contemporain sont des structures dynamiques, innovantes, reconnues en France et à l’étranger. Mais elles ne survivront pas au manque de concertation chronique dont souffre la politique culturelle.
Il faut que soient actées clairement compétences et responsabilités de chacun. »
Etienne Bernard
Président de d.c.a / association française de développement des centres d’art contemporain
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