De Laetitia Dosch à Rodrigo Garcia et Hubert Colas, le festival Actoral, qui se déroule à Marseille jusqu’au 13 octobre, démarre à fond de train…
Hate, direction artistique Laetitia Dosch
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Compagnon de jeu de Laetitia Dosch dans Hate, le cheval Corazon ne se déplace jamais sans son acolyte et la première image d’Actoral restera la vision magique des deux chevaux trottant allègrement dans les rues de Marseille pour entrer au théâtre du Gymnase. Agglutiné devant les marches, le public est prié d’attendre en silence avant d’entrer dans la salle pour ne pas effrayer Corazon, déjà en piste sur le plateau. Mine de rien, cette entrée en matière, ce soin particulier demandé au public de se comporter avec retenue, redonne tout son sel à l’expression « spectacle vivant ». Il en va de notre attitude pour que la relation entre l’actrice et le cheval puisse se faire jour et se donner à voir.
Tentative de duo avec un cheval
D’ailleurs, le spectacle s’intitule Hate, tentative de duo avec un cheval et, pour ce projet, Laetitia Dosch s’est entourée du metteur en scène Yuval Rozman et de Judith Zagury, collaboratrice chorégraphique et coach cheval. « A époque folle, projet fou », dit-elle en résumé. Pour en parler, l’actrice a voyagé, de Rome à Calais, commencé un journal intime et fait de Corazon le partenaire idéal pour exprimer son trouble, ses peurs, ses désirs aussi : « Il y a une femme nue et un cheval sur scène. Pour questionner notre rapport aux animaux, qu’on déteste en aimant, qu’on aime en détestant. Pour questionner notre rapport à l’autre, en général, avec qui l’on fait de même. Pour questionner mon intimité car en tant que représentante de l’espèce humaine, face à une autre espèce. Pour revenir à une relation plus primitive, peut-être plus essentielle à l’autre. »
Utopie féérique
Pour jouer, surtout, à la femme amoureuse qui se met en tête de faire un enfant avec l’animal. Bientôt, Laetitia Dosch modifie sa voix pour donner la parole à Corazon, un dialogue qui se crée en direct en fonction de l’humeur du cheval. « Laetitia a chaque soir plusieurs scénarios de dialogues possibles en fonction des réactions de Corazon », explique Yuval Rozman. C’est lui qui donne la couleur du spectacle et l’actrice doit être à l’écoute pour lui donner la réplique, lui donner toute sa place… et ne pas l’utiliser à des fins spectaculaires. On est à l’opposé du dressage, dans l’utopie féerique d’une alliance provisoire mais possible entre nature et culture. On est au plus proche de l’expérience humaine de vivre, partagée avec un membre d’une autre espèce animale. Si loin, si proche de nous. Un miracle qui se métamorphose chaque soir. Il ne saurait en être autrement. En prendre conscience nous fait sentir plus vivant, c’est le miracle de Hate.
Encyclopédie de phénomènes paranormaux Pippo y Ricardo, texte et mise en scène Rodrigo Garcia.
Le monde réel est bien plus dingue qu’on ne s’entête à le croire ! Et on peut faire confiance à Rodrigo Garcia pour nous en administrer la preuve en créant son tandem de clowns célestes, dans l’illustre lignée de Bouvard et Pécuchet ou de Vladimir et Estragon, le duo beckettien, où l’absurde s’avère la meilleure façon d’épingler le non-sens de l’existence dans un monde devenu fou. Ce sera donc Pippo y Ricardo qui s’y collent, interprétés par Juan Loriente et Gonzalo Cunill. De leurs bouches sortent des paroles où le trivial s’acoquine au poétique pour tenter de décrire les bizarreries du monde visible. « Le temps que nous accorde la biologie est si long et la traversée de cette vie biologique si ennuyeuse que l’on construit des mirages dans les flaques de pluie et je les appelle mes raisons ou je les appelle mes échecs », remarque Pippo et c’est peut-être la clé de ce dialogue pataphysique qui recense du Moyen Age à nos jours tous les phénomènes paranormaux tombés du ciel, comme autant d’énigmes à déchiffrer et de messages à interpréter. Comme toujours avec Rodrigo Garcia, il « ne crée pas de personnages mais fabrique des discours ».
A charge pour les acteurs de les faire entendre avant d’en donner une autre interprétation, purement gestuelle, au corps à corps avec la profusion d’objets qui remplissent le plateau et en accord retentissant avec la musique live et la juxtaposition saisissante de créations vidéo mutantes et inquiétantes. Il y a de l’Alien dans cette vision futuriste d’une humanité aimantée autant qu’effrayée par la vitalité de ses peurs, pulsions et cauchemars qu’alimentent ses visions. C’est l’aspect paradoxalement rassurant de la science-fiction : inventer des monstres irréels pour se détourner de la monstruosité ambiante déguisée en normalité.
Désordre, texte et mise en scène Hubert Colas.
La solitude à deux, c’est pas terrible, diront certains. La solitude à des millions de vues, telle qu’elle s’éprouve dans les réseaux sociaux, c’est encore pire, constate Hubert Colas dans Désordre. Dans cette pièce écrite sur commande pour le deuxième numéro d’une revue avec l’Anomalie comme fil conducteur, l’auteur s’interroge d’abord sur le sens du mot pour vagabonder sur ses diverses définitions et s’arrêter enfin sur sa propre appréhension du terme : « Ce que je nommerai l’anomalie de l’existence : la solitude. Non pas celle du romantisme, précise Hubert Colas, encore que je pourrais trouver plaisir à y écrire. Mais la solitude comme source du désordre de la vie ou de son accomplissement si on l’accepte. Mon anomalie sera l’expression de la solitude comme l’événement engendré par le désordre du monde d’aujourd’hui. L’anomalie, le désordre d’aujourd’hui serait justement dans une époque comme celle que nous vivons : la solitude.«
Rire comme un lapin qu’on étrangle…
Rechignant à l’envisager sous un angle dramatique, c’est au contraire par le biais de la fantaisie et de (l’insoutenable) légèreté de l’être qu’Hubert Colas donne voix à l’expression de la solitude à travers plusieurs personnages. Des filles de joie, fausse jumelles désenchantées, une fille esseulée qui s’en remet à internet pour recenser les meilleures phrases pour draguer ou pour rompre, un homme qui ne sortira pas d’une image vidéo d’où il revendique son retrait du monde. Mais aussi un musicien, un célibataire faussement jovial qui » rit comme un lapin qu’on étrangle « . Et au point où on en est, on ne s’étonne pas que même les fauteuils du décor se mettent à parler eux aussi, du langage, de la peur, de la mort et de cette » grande farce qui a commencé « .
Dans ces fragments éparpillés comme autant de tranches de vie que la mise en scène organise comme un cabaret, tout est question de rythme. S’il reste encore à trouver, on n’en retient pas moins quelques morceaux de bravoure d’une « actoralité » remarquable, à l’instar de la séquence des Filles de joie sur le harcèlement sexuel ou celle intitulée Mes E seront muets sur la domination masculine du langage. Décidément, le phénomène #Metoo irrigue bon nombre de spectacles en cette rentrée. On s’en réjouit.
Actoral, festival international des arts et des écritures contemporaines, jusqu’au 13 octobre. Marseille.
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