Rattrapées par le contexte délétère des dernières semaines, l’artiste Zoulikha Bouabdellah et avec elle les 18 artistes d’une expo d’art contemporain font les frais d’une auto-censure toujours problématique.
L’exposition collective organisée par la galerie des Filles du Calvaire à Clichy, « Femina ou la réappropriation des modèles », n’aura tenu que quelques jours. Inaugurée le 24 janvier dernier au Pavillon Vendôme à Clichy, elle fait l’objet depuis quelques jours d’une vive polémique liée, dans un premier temps, à la décision de l’artiste Zoulikha Bouabdellah de retirer son oeuvre monumentale, suite à la mise en garde par la fédération des associations musulmanes de Clichy, craignant « d’éventuels incidents irresponsables ». Dans un second temps, à la volonté de la majorité des artistes invitées de voir leurs pièces également retirées de l’exposition.
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« La liberté d’expression continue d’être bafouée deux semaines après les marches du 11 janvier alors qu’aucun motif sérieux ne peut être invoqué pour interdire la présentation d’une oeuvre qui réunit simplement des tapis de prière et des paires d’escarpins » s’insurgeait l’artiste ORLAN dans un communiqué publié publié le 25 janvier dernier.
Une oeuvre sur la place des femmes dans le monde arabe
L’oeuvre en question ? Une installation de l’artiste franco-algérienne Zoulikha Bouabdellah intitulée Silence, représentant un patchwork de tapis de prières jonché d’escarpins dorés. Créée en 2008 et montrée depuis aux Etats-Unis, en Allemagne ou en France, cette œuvre symbolique qui interroge la question des limites et la place de la femme dans le monde arabe, est un pied de nez à la tradition musulmane qui impose de se déchausser avant de prendre place sur le tapis.
« Mon intention n’est ni de choquer, ni de provoquer »
« Je suis de culture musulmane : mon intention n’est ni de choquer, ni de provoquer mais bien plutôt de proposer une vision à partir de laquelle peut s’instaurer un dialogue. Cette vision concerne ici les liens entres espaces profane et sacré ainsi que la place de la femme au seuil de ces deux mondes. – car oui la modernité des femmes est conciliable avec l’islam » a fait savoir l’artiste qui a cependant pris la décision de retirer l’oeuvre avant l’ouverture de l’exposition tout en appelant, dans les jours qui ont suivi, les autres artistes à bien vouloir raccrocher leurs oeuvres car elle ne souhaitait pas que « la polémique nuise davantage à la manifestation« .
C’était il y a une semaine. Depuis, de nombreuses artistes dont ORLAN (qui s’inquiétait néanmoins que cette forme d’autocensure conduise à passer « consciemment ou inconsciemment de l’auto-censure à l’empêchement, de l’empêchement à l’inhibition qui produisent la menace et la peur« ) ont tout de même choisi de retirer leurs oeuvres en signe de solidarité avec Zoulikha Bouabdellah.
Les commissaires, Christine Ollier et Charlotte Boudon, ainsi que les responsables de ce centre d’art municipal se réunissent cet après-midi pour sceller le sort de cette exposition et acter sa fermeture effective.
« Des oeuvres seront décrochées et restituées aux artistes qui le demandent, et pourront être remplacées par un communiqué qu’elles nous transmettront mise à la disposition du public du Pavillon. Au communiqué de presse de Monsieur le Maire Gilles Catoire publié le 27 janvier où il renvoyait l’artiste et les commissaires à leur liberté d’expression, nous répondons que les conditions de son exercice n’avaient pas été réunies ou si elles l’étaient, comme il l’a prétendu publiquement six jours après le vernissage, il aurait dû les communiquer à temps aux organisateurs » ont-elles fait savoir dans une lettre publiée le 1er février.
De son côté, l’adjoint au Maire de Clichy-la-Garenne, chargé de la Culture et du patrimoine historique, Nicolas Monquaut a fait part de sa colère, sans ménager la responsabilité du Maire: « Je n’accepte pas que cette exposition, réunissant 18 artistes femmes et questionnant la place des artistes femmes dans l’art contemporain, et plus largement dans nos sociétés, ait subi des pressions (…) Compte tenu du contexte particulièrement sensible que connaît notre pays depuis la semaine du 7 janvier, j’ai également sollicité qu’autour du Maire et de l’adjoint à la Culture que je suis, la majorité municipale se réunisse sans tarder. (…)Du 17 janvier jusqu’au vernissage de l’exposition Femina, le 24 à 18 heures, je n’ai pas obtenu du Maire que cette réunion se tienne. Je n’ai pas non plus obtenu certaines informations que je demandais concernant les moyens publics mobilisés pour assurer toutes les parties prenantes que cette exposition et son vernissage étaient entourés de conditions de sécurité bien adaptées. »
Le mot de la fin dans cette triste affaire de censure, d’auto-censure et de responsabilités visiblement mal assumées revient à l’artiste ORLAN qui en guise de commentaire nous a envoyé cette citation d’Einstein : « Le monde sera détruit non pas par ceux qui font du mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire« .
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