Dans un huis clos entre farce et tragédie, Alain Françon et son trio d’acteur·trices trouvent le ton juste pour s’emparer d’un brûlot antinazi de Thomas Bernhard.
Affichant un profond dégoût pour une patrie coupable de s’être dissoute dans l’idéologie du IIIe Reich, l’Autrichien Thomas Bernhard (1931-1989) transforme le mépris en arme politique avec Avant la retraite, qui dénonce une dénazification longtemps restée lettre morte dans son pays.
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Un ancien SS obsédé par l’anniversaire d’Himmler
Quarante ans après la Seconde Guerre mondiale, la pièce s’inspire d’un fait réel pour débusquer, derrière le président d’un tribunal de province en fin de carrière, un ancien officier SS obsédé par la célébration de l’anniversaire de la naissance d’Himmler.
L’auteur convoque métaphoriquement la trinité des forces politiques présentes en Autriche. Il accouple la figure d’un nazi qui ne regrette rien, Rudolf Höller, à une représentation de la majorité silencieuse personnalisée par sa sœur Vera, l’amante incestueuse prête à combler tous ses désirs, tandis qu’il épingle les forces de progrès en Clara la benjamine, la réduisant à une impuissante conscience de gauche, assignée au rôle de souffre-douleur clouée dans un fauteuil roulant.
Au service de cette vision au second degré, il serait vain d’espérer renouer aujourd’hui avec le scandale provoqué lors de la création de la pièce en 1979. L’œuvre est entrée dans l’Histoire. Nul besoin de dire qu’on sait gré à Alain Françon de l’extrême engagement d’un spectacle pensé pour pointer, sans les surligner, l’impardonnable des faits énoncés, tout en maîtrisant l’obscénité de situations relevant d’un théâtre de la cruauté conçu pour provoquer l’hilarité.
Exercice d’équilibriste
De la part de celui qui nous avait offert, en 2011, une inoubliable approche de Fin de partie, on ne s’étonne pas non plus qu’à la manière des poupées russes, la lecture au scalpel d’Alain Françon s’attache aux moindres détails et pointe les multiples traces glissées par Bernhard pour affirmer, avec Avant la retraite, sa volonté d’une mise en perspective et d’une délicate dédicace à l’œuvre de Beckett.
Le huis clos flirtant à chaque instant avec le grotesque, on navigue en permanence entre la surprise coupable de rire de la farce dénonciatrice et l’émotion qui serre la gorge à l’évocation d’une tragédie qui a pour nom la Shoah. L’exercice d’équilibriste donné à voir sur le plateau est époustouflant. Reste à couronner de lauriers le trio d’exception qui porte Avant la retraite à des sommets de justesse. Catherine Hiegel (Vera), André Marcon (Rudolf) et Noémie Lvovsky (Clara) distillent chacun·e à leur manière le fiel bernhardien qui infuse dans les répliques. Avec eux·elles, le drôle de poison contenu dans la pièce n’est pas près de s’éventer.
Avant la retraite de Thomas Bernhard, mise en scène Alain Françon, avec Catherine Hiegel, André Marcon et Noémie Lvovsky. Jusqu’au 15 novembre, Théâtre de la Porte Saint-Martin, Paris
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