Cate Blanchett illumine ce très beau Big and Small, version anglaise de la pièce de Botho Strauss admirablement mise en scène par l’Autsralien Benedict Andrews.
Se tenir sur le bord et écouter. Le monde est là, à côté. Ce sont des voix. Deux hommes parlent dans le noir. On distingue à peine par moments leurs silhouettes, comme des fantômes qui s’effacent dans l’épaisseur de la nuit. Les bribes de conversation sont rapportées par la femme assise sur le devant de la scène en pleine lumière. C’est elle qui entend ces voix dans sa solitude au milieu de la nuit à Marrakech. Relativement banale, la situation recèle aussi sa part d’étrangeté. Cette femme d’âge moyen, dont on découvrira bientôt qu’elle s’appelle Lotte, évolue en quelque sorte à la lisière du monde.
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L’actrice Cate Blanchett donne à ce personnage profondément attachant une densité lumineuse teintée d’étonnement. Par moments on dirait une comète égarée dans un univers qu’elle a du mal à comprendre malgré sa bonne volonté. Comme si le lointain et le proche ne cessaient de se heurter et de se bousculer générant au passage un brouillard d’incommunicabilité. Mais tout cela n’est peut-être qu’affaire de proportions, ainsi que le suggère le titre de cette pièce de Botho Strauss, Grand et Petit.
La mise en scène de Benedict Andrews souligne l’opacité d’un monde où le quotidien tend à l’absurde et le réel flirte parfois avec l’onirisme. Cette confusion ironique particulièrement significative du théâtre des années 1970 est accentuée par l’aspect saillant de la traduction anglaise due au dramaturge britannique Martin Crimp. On pourrait d’ailleurs repérer une filiation entre ce Big and Small et la pièce Atteintes à sa vie de Crimp tournant autour d’un personnage féminin encore plus énigmatique. La référence aux années 1970 est quant à elle clairement assumée à travers la bande-son du spectacle, qui de Faust à Can pioche largement dans la musique d’une époque dont la drogue préférée était le LSD.
Séparée de Paul, son mari, Lotte traverse différents espaces, constellation de situations parfois cocasses, souvent folles ou incongrues. D’instantanés ramassés à l’extrême en scènes plus développées tels ces échanges hilarants via un interphone à la porte d’un immeuble dans lequel est censée vivre Meggy, une ancienne amie de Lotte, le spectacle installe une atmosphère curieusement délétère. L’errance de Lotte apparaît alors comme la dérive d’une femme isolée au sein d’une société mesquine dépourvue de points de repères. Une réalité soumise à toutes sortes d’injonctions plus ou moins dérisoires à laquelle elle s’oppose, quoique sans vraiment le savoir. Parce que dans son esprit tout un tas de questions se bousculent qui restent sans réponses. Toujours juste, profondément humaine et extraordinairement drôle, Cate Blanchett donne à cette héroïne une épaisseur d’autant plus attachante dans son ingénuité qu’elle révèle à sa façon le vide abyssal de nos sociétés occidentales.
Big and Small, de Botho Strauss, mise en scène Benedict Andrews, avec Cate Blanchett jusqu’au 8 avril au théâtre de la Ville, Paris
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