Dans leur nouvelle création “(ma, aida…)”, les corps en suspension de Camille Boitel et Sève Bernard mettent en mouvement le dérèglement amoureux.
Ils sont nombreux les artistes proches du cirque contemporain et tutoyant l’instable : il suffit de citer les noms de Yoann Bourgeois, Mathurin Bolze ou la paire Vimala Pons et Tsirihaka Harrivel. Et chacun de courir à la “catastrophe” avec qui un plateau tournant, qui un décor suspendu ou un plateau entravé d’objets.
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Dans cette mouvance, le travail de Camille Boitel en complicité avec Sève Bernard ose l’impensable : un décor-machine qui se défait au fur et à mesure de l’action. “(ma, aida…) est une pièce qui sert à user le théâtre jusqu’à la moelle”, résume la paire.
Mélancolie à fleur de peau
L’Immédiat, Le Cabaret calamiteux ou Fissures, créations précédentes, ouvraient la voie en quelque sorte. Ces titres sont d’ailleurs révélateurs d’un parcours accidenté où la tangente est possible, la marche arrière dédaignée. (ma, aida…) affirme cette envie du je/u. Sous les presque 100 m2 de plancher, une communauté de manipulateurs œuvre pour donner à cet effondrement l’allure d’un opéra des corps. Sans oublier, aux côtés de Camille et Sève, Tokiko Ihara et Jun Aoki, artistes pluridisciplinaires, musiciens ou performeurs, c’est selon.
“Ces présences nous accompagnent sans jamais rien illustrer”, lâchent Camille Boitel et Sève Bernard. Le reste, c’est-à-dire tout ce qui se joue entre les protagonistes, est d’une rare poésie : il y a l’hommage au théâtre comme au cinéma burlesque, la mélancolie à fleur de peau d’un couple en train de se (dé)faire et le coup de feu.
Jouer, c’est disparaître
Cela peut paraître beaucoup pour un seul spectacle. Il n’en est rien. Camille Boitel et Sève Bernard écrivent les pages d’un récit pluriel. Le plus beau est encore que chaque spectateur peut s’y faire une place. (ma, aida…) est un précipité de vie. On pourrait dire qu’il respire à la moindre planche qui s’affaisse, à la moindre chute rattrapée de justesse. “Jouer c’est disparaître”, aime postuler Camille Boitel. Alors va pour la disparition lorsqu’elle prend cette forme de vie. Ne manquent qu’une poignée de fantômes au plateau.
On n’en demande pas tant. Il faudrait dès lors citer les manipulations à vue dans les coulisses, les têtes entraperçues sous la scène, les baisers envolés. Mais ce serait dévoiler trop ou trop peu. Du théâtre sur le théâtre, 36 spectacles dans un spectacle de moins d’une heure, promet le programme de salle. “Essayer. Rater. Essayer encore. Rater encore. Rater mieux”, disait Samuel Beckett. (ma, aida…) est encore ailleurs. Dans un temps suspendu.
(ma, aida…) de Camille Boitel et Sève Bernard, avec Tokiko Ihara, Jun Aoki. Du 26 février au 7 mars, Le Centquatre, Paris. Du 18 au 20 mars, Le Maillon, Strasbourg. Les 26 et 27 mars, Le Manège, Reims. Du 14 au 19 mai, Comédie de Clermont-Ferrand
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