Le jeune Parisien convoque ses parents artistes au pays de Galles dans une expo qui, tout en restant éminemment contemporaine, ne recule pas devant l’exploration et la mise en scène des affects.
Les plus grincheux trouveront sans doute qu’il y a chez Camille Blatrix une forme de nombrilisme. Et l’exposition qu’il présente au centre d’art Mostyn, au pays de Galles, leur livrera sur un plateau des arguments supplémentaires puisqu’ici, non content d’exhiber ses sales petits secrets, c’est aussi sa mère et son père que le lauréat du prix Ricard 2014 a ramenés dans ses valises.
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Mais, on le sait, les grincheux ont parfois du mal à voir plus loin que le bout de leur nez, et du nez, justement, il en faut pour sentir chez ce jeune Parisien d’une trentaine d’années le parfum d’une génération tout autant que l’éternel recommencement du cycle de la vie.
Des objets réduits et ultrasoignés
De quoi parle-t-on exactement ? Camille Blatrix est un sculpteur, un vrai, qui bricole dans son coin des objets réduits et ultrasoignés, aux finitions parfaites et aux couleurs éteintes, dont il est impossible de dire à quelle époque ils appartiennent. Ces objets, souvent de petite taille, pas prétentieux pour un sou malgré leur facture léchée, ont tendance à disparaître dans le décor tant ils jouent avec les codes du design domestique ou singent le théâtre du quotidien (à la Fondation Ricard, l’automne dernier, c’est un interphone d’un genre un peu particulier qui s’accrochait modestement aux cimaises de l’exposition ; à New York cet hiver, sur une invitation de Camille Henrot, c’est une boîte aux lettres molle doublée d’une messagerie et d’un MP3 qui recueillait les humeurs d’un jour).
Mais ces objets froids sont aussi le réceptacle de mille histoires intimes autant qu’universelles. Le chagrin d’amour, l’impossibilité de communiquer, l’équilibre précaire des affects. Cette indémodable météorologie des sentiments est au cœur du travail de Camille Blatrix, dont les œuvres s’apparentent souvent – ce n’est pas un hasard – à des baromètres ou des boussoles.
De minuscules indices, de faux chewing-gums sculptés
A Mostyn donc, où l’exposition est hantée par une certaine Diane, dont le nom mais aussi l’icône du réseau internet ont été gravés sur une petite plaque de bois comme on sculpte les bureaux d’écolier, c’est une histoire plus banale mais finalement plus puissante encore que joue Camille Blatrix : celle de la filiation. Une filiation un peu encombrante parfois quand, comme dans son cas, on compte dans son arbre généalogique une mère céramiste et un père artiste passé un temps par les Beaux-Arts, comme le fils, avant de bifurquer et de devenir charpentier de marine.
La première salle de l’exposition est entièrement dédiée aux sculptures de Dorothée Loriquet, la mère donc. Avec leurs formes molles et creuses, mais en couleurs pour le coup, elles sont à la fois le pendant et le repoussoir des sculptures de Blatrix. Ce qui est très touchant, c’est qu’elles sont en majesté dans cette salle où l’artiste assume d’en montrer toute une tripotée, sur des socles imposants bien qu’ajourés (conçus par son ami d’enfance, Camille Blin), perturbés avec délicatesse par de minuscules indices, de faux chewing-gums sculptés, une paire de Converse, qui prouvent en quelque sorte qu’on peut être un bon fils et un bon artiste.
Une allégorie du cycle de la vie d’homme
Dans la deuxième et dernière salle, c’est un autre paysage, en perspective plongeante, qui se dessine, avec en ligne de mire deux tableaux de jeunesse du père dans une veine champêtre et naïve. Sur ces deux Arcadie réalisées en Italie il y a près de trente ans, on devine que la mère et le nouveau-né qui occupent le centre du tableau sont les mêmes que les deux protagonistes croisés plus tôt dans l’expo.
Ces toiles donnent de l’épaisseur, dans tous les sens du terme, à la mise en scène de Blatrix, qui explique, avec cette ingénuité feinte qui lui est propre, qu’elle représente trois étapes ou trois étages de la vie. Cernés par les œuvres de ses parents, les trois modules conçus par Blatrix présentés donc par ordre de grandeur, en s’élevant progressivement dans l’espace, ne se donnent pas à lire immédiatement. Ils sont familiers – évoquant tour à tour la table d’orientation, le pupitre d’écolier et le lutrin sur lequel les tribuns déposent leurs discours – autant que fondamentalement exotiques et exogènes. Chacun y reconnaîtra quelque chose de son expérience personnelle et de sa propre avancée dans la vie. Tous pourront y lire une allégorie du cycle de la vie d’homme.
C’est tout cela que nous raconte le travail attachant de Camille Blatrix, résolument singulier dans un paysage artistique qui ne s’encombre plus guère de sentiments, de psychologique et de biographique. Blatrix, lui, n’a pas peur des affects, qu’il fait coïncider, d’une manière délicate et pleine d’humour, avec les pratiques et les usages en cours en 2015, les communications virtuelles autant que les transmutations génétiques. Ce qui fait de lui un artiste universel et atemporel autant que le porte-parole d’une génération bien ancrée dans son temps. Claire Moulène
No School jusqu’au 1er novembre à Mostyn (pays de Galles), mostyn.org, en partenariat avec la Fondation d’entreprise Ricard, fondation-entreprise-ricard.com
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