Au Festival d’Avignon, dans la cour d’honneur du Palais des papes, Angélica Liddell s’en est prise nommément à certain·es critiques, suscitant un débat qui anime la profession.
Décidément, cela ne passe pas. Lors de la première du spectacle Dämon d’Angélica Liddell, qui faisait l’ouverture de la prestigieuse cour d’honneur du Palais des papes, l’artiste castillane mettait en scène ses démons au fil d’un spectacle enthousiasmant, dont nous avons suivi la création en Suède, et que nous avons critiqué au lendemain de la première.
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Il y est question de la mort et de la vieillesse. Il est aussi question du sexe, de la vanité et de la religion. Autant de sujets complexes, récurrents dans le travail de la performeuse – et omniprésents dans la création artistique depuis les peintures préhistoriques dans la grotte de Lascaux (au moins). L’un de ces démons, néanmoins, est lié au statut d’artiste d’Angélica Liddell – un sujet qui manifestement la travaille dans sa chair : la critique.
“Où es-tu Armelle ? Où es-tu ?”
La critique, les critiques. De ses spectacles, de son œuvre, qui est clivante, et outrancière. Au début de Dämon donc, Angélica Liddell s’en prend à ses détracteur·rices. Dont elle cite des extraits d’articles défavorables – quelques phrases –, puis le nom de leurs auteur·rices. Il y a Armelle Héliot, ancienne plume au Figaro, Fabienne Darge du Monde, Stéphane Capron de Sceneweb.fr et France Inter, Simon Gérard de Culturopoing.com, et Hadrien Volle de Sceneweb.fr. Après quoi, l’artiste s’amuse à répéter le patronyme des critiques, goguenarde : “Où es-tu Armelle ? Où es-tu ?”
Parfois, le geste accompagne la parole ; en guise de commentaire au sujet du texte de Fabienne Darge, Angélica Liddell montre ses fesses. Et pour Stéphane Capron, son nom devient “cabrón” (“connard” en espagnol), avant de subir un torrent d’injures : “enculé”, “trou du cul”… Des insultes qui ont provoqué quelques rires dans cette assemblée de 2 000 personnes, et que la direction du festival a découvert au même moment que le public.
Une plainte pour injure publique
Mais des insultes, on peut l’imaginer, qui n’ont pas été forcément au goût de Stéphane Capron. Il a ainsi décidé de porter plainte au commissariat pour injure publique envers un particulier : “Une artiste peut dire ce qui lui plaît sur un plateau de théâtre, commente l’intéressé. Mais il me semble que la limite à la liberté d’expression demeure le respect des autres. Rien ne justifie cette outrance. Je n’ai jamais insulté quiconque en exerçant mon métier.”
De son côté, la direction du festival a choisi de ne pas s’immiscer dans le travail d’Angélica Liddell : “Le Festival d’Avignon défend la liberté de création, d’expression et la liberté de la presse, précise le verbatim. Les propos portés sur scène dans le cadre d’un projet artistique ne peuvent être considérés comme une position du festival. Le festival n’a pas à interférer avec l’intégrité des œuvres présentées.”
Soit. Mais cela ne passe pas. Parce que Stéphane Capron attend que son nom et les insultes à son encontre soient retirés du spectacle. Des propos qu’Angélica Liddell ne devrait pas soustraire ce lundi 2 juillet, étant donné que la justice peut mettre quelques temps à effectuer son travail…
Le théâtre avant tout
Mais après le fait, il y a ces questions qui animent les journalistes présent·es au festival ; sempiternelles interrogations qui accompagnent la création artistique. Peut-on tout se permettre sur une scène de théâtre ? La performeuse joue-t-elle un personnage ? Les injures proférées aux journalistes sont-elles de la même nature et de la même intensité que celles que l’on entend dans l’émission Le Masque et la Plume et dans les colonnes de certains magazines ? Faut-il qu’Angélica Liddell retire ses propos ?
Nous sommes de l’avis que non. Parce que dans ce spectacle, qui est un cirque cathartique, l’outrance est à tous les étages. Que l’artiste a beau nommer Stéphane Capron (lequel est un confrère d’une immense gentillesse et un excellent journaliste), elle ne s’en prend pas à lui personnellement (elle l’insulte en sa qualité de critique). Qu’elle n’incite pas à la haine, ou au harcèlement. Qu’elle ne cherche pas à nuire à la liberté d’expression. Qu’elle se venge, certes, grossièrement, d’accord, mais le théâtre reste du théâtre. Qu’elle parle d’elle avant de parler d’elleux. Elle qui est manifestement obsédée par la critique ; c’est son problème, certainement pas le nôtre.
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